Le premier Forum de la jeunesse franco-africaine s’est déroulé les 22 et 23 avril derniers en région parisienne. L’initiative, dont le second volet se déroulera à Bamako en juillet prochain, vise à proposer aux institutions de la République partenaires un cadre d’actions élaboré par les premiers intéressés. Interview d’Ali Soumaré, membre de la cellule jeunesse du Haut conseil des Maliens de France à l’origine du projet.
Pour nous par nous. Telle pourrait être la devise du Forum de la jeunesse franco-africaine, dont le premier volet s’est tenu le 22 et 23 avril dernier en région parisienne. Initié par le Haut conseil des Maliens de France (HCMF), en partenariat avec certaines institutions françaises, pour réfléchir et proposer des actions concrètes aux autorités françaises pour régler les problèmes de cette jeunesse à la double culture. L’événement avait réuni plus de 600 personnes autour de quatre problématiques : l’accès aux droits, le dialogue fille-garçon dans la cité, l’interculturalité et Jeunesse et co-développement. La seconde partie du forum se tiendra en juillet prochain à Bamako. Ali Soumaré, membre de la cellule jeunesse au sein du HCMF, revient sur la genèse et la philosophie du projet.
Afrik.com : Comment est né le Forum de la jeunesse franco-africain ?
Ali Soumaré : La cellule jeunesse du HCMF est née il y a 5 ans avec l’apparition du film « Fatou la Malienne » (film très controversé qui racontait l’histoire de Fatou victime, en France, d’un mariage forcé, ndlr). En tant que Franco-maliens, nous étions tous consternés et nous nous sommes sentis pointés du doigt. Nous voulions œuvrer pour rétablir un certain équilibre qui consiste à nous mettre en valeur et travailler sur les problématiques de notre communauté. Et puis nous nous sommes aperçus que tous les Franco-africains avaient les mêmes problématiques. D’où le changement de nom. Et le Forum de la jeunesse franco-malienne que nous comptions organiser et devenu le Forum de la jeunesse franco-africaine.
Afrik.com : Le Forum est-il une initiative uniquement privée ?
Ali Soumaré : Nous avons voulu dès le départ travailler en étroite collaboration avec les institutions, notamment celles de la République. Nous avons ouvert le projet à l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, ndlr), qui est devenu le gros porteur du projet. Nous avons également eu la participation du ministère de la Jeunesse et des sports, de la Conféges (Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays d’expression française, une instance de la Francophonie) et de jeunes (18-30 ans) du milieu associatif ou non. Comme nous avons déposé le projet dans le cadre du Programme européen jeunesse. Nous avons également invité cinq pays d’Europe à venir nous exposer leurs réalités (Angleterre, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique).
Afrik.com : Quel accueil avez-vous reçu des autorités françaises quand vous leur avez présenté le projet du forum ?
Ali Soumaré : Nous avons parfois été confrontés à des réactions épidermiques de leur part. On nous posait souvent la question : « Vous vous sentez Français ou Africain ? » Alors que nous sommes les deux et que nous n’avons pas à choisir l’un ou l’autre. « C’est comme si on me demandait de choisir entre mon père et ma mère », comme le disait l’humoriste franco-marocain Jamel Debouze. Les autorités françaises nous renvoyaient souvent à des questions de société et l’on s’est retrouvé à devoir toujours montrer « patte blanche ». Il faut montrer qu’on n’est pas sectaires ou communautaires. En même temps, je ne sais pas ce que ça veut dire « être communautaire ». Quand on écoute certaines personnes censées incarner les autorités françaises : être communautaire c’est tout simplement organiser un Forum franco-africain de la jeunesse. Pour eux c’est déjà un glissement vers le communautarisme.
Afrik.com : On foule ici du pied la notion de diversité culturelle que pourtant défend la France ?
Ali Soumaré : C’est un peu ça. On plaide en même temps la diversité, mais on en a une définition finalement assez réductrice. J’ai parfois l’impression qu’il faut que l’on soit déconnectés de notre pays d’origine et de sa culture et que l’on vive, excusez-moi du terme, mais comme « un bon petit blanc ». Alors qu’on peut tout à fait être Franco-africain sans pour autant être schizophrène.
Afrik.com : Vu vos partenaires, vous avez tout de même pu convaincre des institutionnels?
Ali Soumaré : Je n’ai parlé jusqu’ici que des rapports négatifs avec certains institutionnels. Mais nous en avons heureusement rencontré d’autres qui avaient une autre vision des choses. Des personnes qui voulaient travailler sur des propositions, qui voulaient aller de l’avant. Le forum a été quelque chose d’important pour eux, parce qu’ils ont pu comprendre beaucoup de choses à travers les débats. Parce que la seule vision qu’ils ont de la réalité est les clichés qui montrent du doigt les jeunes de banlieue ou des jeunes issus de l’immigration.
Afrik.com : Qu’est ce que le Forum de la jeunesse franco-africaine apporte de nouveau par rapport aux autres forums qui se tiennent ici et là ?
Ali Soumaré : Le Forum développe la volonté de construire un processus consistant à faire des propositions concrètes et à les porter avec les institutionnels. Ce n’est pas une initiative consistant à faire du misérabilisme ou de simples constats et à pleurer sur notre sort. Il s’agit de dégager, nous-même, un cadre opérationnel.
Afrik.com : Qu’est ce que cela donne concrètement ?
Ali Soumaré : En attendant la publication de fin d’année qui capitalisera les débats, nous avons créé un programme qui s’appelle le « Peuplier à palabres » qui reprend à un niveau local les thèmes abordés lors du séminaire afin d’enrichir un maximum la publication. Il est important que chacun puisse s’exprimer sur le sujet. Prenons l’exemple de l’orientation scolaire : on a déjà remarqué qu’on avait tendance à orienter la jeunesse franco-africaine vers des filières professionnelles sans même lui demander leur avis (parce que cette filière peut tout à fait être un choix). L’idée est que le jeune puisse se construire son parcours dès la sixième. A travers des journées d’information, avec un accompagnement précis et rigoureux.
Afrik.com : Vous sentez-vous proche dans votre affirmation identitaire du combat que mène quelqu’un comme Dieudonné ?
Ali Soumaré : Si je devais m’en tenir à l’image que l’on donne à Dieudonné dans certains médias, son combat semble prendre une tournure qu’en tant que militant, je ne souhaite pas prendre. A savoir un glissement qui consiste à avoir une haine de l’autre. Notre combat est identitaire, mais il ne s’inscrit pas dans la haine. Parce que je pense que ce type de glissement n’est pas constructif et c’est quelque part faire à autrui ce que nous ne souhaitons justement pas qu’on nous fasse.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous choisi d’organiser un atelier autour du dialogue fille-garçon dans la cité?
Ali Soumaré : Nous n’avions pas prévu l’atelier sur le dialogue fille-garçon dans la cité, il nous a été commandé par les institutionnels, notamment par le Fasild (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations). C’est vrai qu’avec la médiatisation de l’association Ni pute ni soumise on a tendance à penser qu’il y a forcément un problème quant à la place de la femme quand on habite dans les cités ou quand on est issu de l’immigration. Dans cet atelier nous avons voulu faire un peu le contrepoids de cela et montrer que les filles issues de l’immigration ne sont pas forcément excisées, mariées de force ou victimes de violence. Nous avons essayé de montrer qu’elles pouvaient, au contraire, être des leaders associatifs ou économiques.
Afrik.com : Avec les Français d’origine africaine de deuxième et de troisième génération, on assiste à une mutation de la participation de la diaspora au continent. Y a-t-il un risque, selon, vous que la source se tarisse ?
Ali Soumaré : En temps que jeune Franco-malien, il est clair que je ne contribuerai pas de la même manière que mes parents, en envoyant directement de l’argent là bas – au besoin ou même quand il n’y a pas besoin d’ailleurs -, à chaque fois un peu comme une vache à lait. Il y a une autre manière de contribuer au développement de son pays d’origine. C’est pourquoi nous avons mis en place l’atelier Jeunesse et co-développement. Car je crois que c’est rendre service à tout le monde que d’impulser des actions économiques ou associatives qui vont rendre les gens moins dépendants de la France. Il ne s’agit pas de couper les liens, car ce serait une partie de notre identité que l’on refuserait, mais de définir un nouveau cadre d’actions.
Afrik.com : Faîtes-vous une différence entre l’aide au développement et l’humanitaire ?
Ali Soumaré : L’humanitaire c’est de l’aide pure et simple envers un pays donné. Dans le co-développement, il y a un important aspect bilatéral. Il y a un véritable échange où chacun apprend de l’autre. Ce n’est pas une logique d’assistanat, c’est justement l’inverse.
Afrik.com : Peut-on considérer que la façon de contribuer des premiers immigrés au développement du pays, qui envoient directement de l’argent à la famille, constitue une forme d’assistanat ?
Ali Soumaré : C’est vraiment de l’assistanat et cela ne nous a pas aidé. Quand on voit aujourd’hui, et il ne faut pas se voiler la face, la logique dans laquelle les gens sont au pays : ça fait peur. Soit on reçoit de l’argent de France et on en dispose comme on veut, parce qu’après tout en France l’argent tombe du ciel, soit on vous demande 3 millions de FCFA afin d’avoir un billet pour venir en France. Nous n’en sommes majoritairement qu’à ce type de débat. Comment l’Afrique peut aller de l’avant quand on est sans arrêt en train de penser à l’exode ? Et finalement quand on émigre, on envoie juste de l’argent au pays pour que les gens puissent manger. Il n’y a pas de logique véritablement constructive. Même si, pour prendre l’exemple du Mali, sans la diaspora de France, le pays ne serait pas ce qu’il est à l’heure actuelle. L’aide au développement venant des Maliens de France représente deux fois le budget national.
Afrik.com : Faut-il nécessairement contribuer au développement de son pays d’origine pour pouvoir revendiquer ses origines ?
Ali Soumaré : Dans les réflexions que nous essayons de mener, nous avons parfois des Franco-maliens qui nous interpellent en nous disant que « selon vous, pour être Franco-maliens il faut forcément contribuer à notre pays d’origine. Or ce n’est pas notre cas, mais nous voulons pouvoir continuer à revendiquer nos origines ». Nous ne disons pas cela. Il y a des gens qui ne contribuent pas au développement de leur pays d’origine et ça ne fait pas d’eux des vendus ou des traites. Il y a des gens qui sont aujourd’hui dans des mariages mixtes et raisonner en terme de moules ferait d’eux des exclus.
Afrik.com : Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il y a finalement très peu de Français d’origine africaine qui connaissent leur pays d’origine. D’où vient, selon vous le phénomène ?
Ali Soumaré : Il y a effectivement un gros problème à ce niveau-là. Où s’opère le glissement ? A plusieurs niveaux, notamment au sein de la cellule familiale. Alors qu’en Afrique on est censé avoir une culture de transmission orale, on constate que beaucoup de jeunes garçons sont en conflit avec leur père ou n’entretiennent pratiquement aucun rapport avec lui. En Afrique on peut aller discuter avec les grands parents ou d’autres grandes personnes, en France ce n’est pas le cas.
Afrik.com : La deuxième partie du forum se déroulera la deuxième semaine de juillet au Mali. Pourquoi un tel choix ?
Ali Soumaré : Pour pouvoir mettre en lumière ce qui est fait en matière de co-développement. Pourquoi le Mali ? Parce que c’est l’un des premiers pays à avoir signer une convention de co-développement avec la France. Et c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui y a inclus un volet jeunesse. Nous allons par ailleurs inviter des jeunes issus de l’immigration de différents pays d’Afrique et qui n’ont pas forcément d’expérience en matière de co-développement pour impulser une nouvelle dynamique. La plupart des personnes qui sont dans la logique de co-développement posent en hypothèse que l’un des aspects qui pourra rééquilibrer la question identitaire se situe avec les liens avec le pays d’origine.