La guerre de la tomate s’intensifie entre l’Espagne et le Maroc


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Tomates
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Les tensions entre l’Espagne et le Maroc atteignent un nouveau pic dans le secteur de la tomate. Au cœur du conflit : des accusations de dépassement massif des quotas d’importation et une concurrence jugée déloyale par les producteurs espagnols. Cette crise ravive un contentieux commercial historique entre les deux pays.

Un dépassement massif des quotas

Selon le Coordinateur des organisations d’agriculteurs et d’élevage espagnols (COAG), le Maroc aurait largement dépassé les limites fixées par les accords de libre-échange avec l’Union européenne. Ces accords autorisent l’importation de 285 000 tonnes de tomates par an, exemptées de droits de douane au prix minimum de 0,46 € par kilo. Or, depuis 2019, les importations marocaines excéderaient ce plafond d’environ 230 000 tonnes annuelles. Un contentieux qui concerne aussi la France.

Le préjudice est considérable : le COAG estime que le Maroc aurait ainsi échappé au paiement de 71,7 millions d’euros en droits de douane sur les cinq dernières années.

Une concurrence aux conditions inégales

Nous ne pouvons pas lutter à armes égales, déplorent les producteurs espagnoles arguant que leurs coûts de production sont nettement plus élevés en raison des normes européennes. Les agriculteurs espagnols sont, en effet, soumis à des réglementations strictes concernant l’utilisation des pesticides, les conditions de travail et le respect de l’environnement.

Ces contraintes, bien que nécessaires, alourdissent significativement leurs coûts de production, rendant difficile la concurrence avec les tomates marocaines vendues au prix plancher de 0,46 € le kilo.

Dans la région d’Almería, principal bassin de production espagnol, les conséquences sont déjà visibles. « Nos revenus ont chuté de 30% en trois ans« , témoigne María Gómez, représentante locale du COAG. « Plusieurs petites exploitations ont déjà mis la clé sous la porte. » Les serres, qui s’étendent à perte de vue dans cette région aride du sud de l’Espagne, symbolisent un modèle agricole intensif menacé par cette concurrence.

Les autorités marocaines contestent ces accusations. La Fédération marocaine des producteurs de tomates, affirme : « Nos exportations respectent scrupuleusement les accords en vigueur. Nous avons modernisé nos installations et investi massivement dans la qualité de notre production. » Elle souligne également que ces exportations créent des milliers d’emplois au Maroc et contribuent au développement économique de régions défavorisées.

Les actions en cours

Face à cette situation, les agriculteurs espagnols multiplient les actions. Des barrages filtrants ont été installés aux points de passage des camions marocains, et des manifestations sont régulièrement organisées devant les institutions européennes. Le COAG exige des contrôles renforcés aux frontières et une révision des accords commerciaux.

Le gouvernement espagnol a récemment porté le dossier devant la Commission européenne, demandant l’activation de la clause de sauvegarde prévue dans les accords commerciaux. Cette mesure permettrait de suspendre temporairement les importations en cas de perturbation grave du marché.

Une décision historique de la CJUE

Le 4 octobre 2024, la CJUE a annulé les accords commerciaux entre l’UE et le Maroc incluant le Sahara occidental, jugeant qu’ils avaient été conclus sans le consentement des populations sahraouies. Cette décision, qui impose de différencier les produits originaires du Maroc de ceux du Sahara occidental, a été saluée par les producteurs européens. Elle marque un tournant en introduisant une clarification sur l’origine des produits, tout en offrant une opportunité de rééquilibrage du marché agricole.

Pour les agriculteurs européens, cette décision est perçue comme un répit dans une lutte marquée par des pertes économiques importantes. « Si l’accord a été jugé illégal, l’UE ne peut pas continuer à fermer les yeux en le maintenant en vigueur pour favoriser certaines entreprises transnationales », affirme Andrés Góngora.

Un enjeu pour l’avenir

L’issue de ce conflit déterminera largement l’avenir de la production de tomates en Méditerranée occidentale. Au-delà des aspects commerciaux, c’est la question de la coexistence entre différents modèles agricoles qui est posée. Les producteurs espagnols et européen réclament non pas la fin des importations marocaines, mais l’établissement de règles équitables permettant une concurrence saine entre les deux rives de la Méditerranée.

En attendant une résolution, la « guerre des tomates » continue d’illustrer les défis du commerce agricole international, où la recherche d’un équilibre entre libre-échange et protection des producteurs locaux reste un exercice délicat, mais elle est aussi un élément important du rapport de force sur l’avenir du Sahara occidental ou se situent les grandes fermes de production exploitées, dans l’illégalité, par le Maroc.

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