Après Shell et Chevron Texacco, TotalFinaElf a évacué son personnel et fermé ses installations dans la région du Delta du Niger au Nigeria, suite aux affrontements inter-ethniques de ces dernières semaines. S’estimant lésés dans la redistribution des revenus pétroliers, des militants de la communauté Ijaw professent le chaos s’ils n’obtiennent pas gain de cause.
Les communautés ethniques qui composent la région pétrolifère du Delta du Niger (Nigeria) s’affrontent depuis deux semaines dans un conflit où se mêlent revendications politiques et économiques. L’ethnie Ijaw, majoritaire dans la région, s’en serait pris aux Itsékiris car elle s’estime sous représentée au sein du gouvernement local (municipalité), où elle dispose de quatre sièges contre six aux Itsékiris. Sur ces revendications politiques, viennent se greffer des exigences que les Ijaws expriment depuis des décennies : une meilleure répartition de la rente pétrolière aux Etats du Delta du Niger. La violence des affrontements a poussé les compagnies pétrolières présentent dans la région à fermer leurs installations et évacuer leur personnel. Trois employés nigérians de TotalFinaElf ont trouvé la mort ce samedi au cours de l’attaque de la ville de Upomami par les Ijaws, selon la compagnie pétrolière.
Menaces Ijaw
» Les Ijaws ont d’abord demandé à ce que les deux communautés puissent disposer du même nombre de sièges au sein de l’instance politique locale, mais la situation s’est dégradée et tout cela a fini en affrontements « , selon l’ambassade de France au Nigeria. Laquelle ajoute que » les Ijaws estiment aussi que les emplois dans le secteur du pétrole ne leurs profitent pas assez. C’est sans doute pour cette raison qu’ils s’en sont pris aux compagnies pétrolières « .
» Si le gouvernement fédéral et le gouvernement d’Etat ne répondent pas positivement à nos revendications, a déclaré un militant des Jeunes Ijaws à la BBC, nous allons rendre cette région ingouvernable. Nous avons informé Chevron, Shell, nous avons informé tout le monde. Evacuez vos employés de toutes vos installations. » Plus violent encore, un leader du mouvement, Dan Ekpebide, a menacé de mettre à feu onze installations dont les militants se sont emparés. » Nous allons faire sauter les pipelines. Nous allons ramener le Nigeria 20 ans en arrière « , a t-il expliqué.
Profiter de la manne pétrolière
Les Ijaws ont payé un lourd tribut, notamment sous le régime militaire de Sani Abacha, dans leur lutte pour une meilleure répartition des fruits de l’exploitation du pétrole. Un pétrole qui jaillit de leurs terres et qui, à défaut de leur revenir en totalité, estiment-ils, devrait leur apporter bien plus. Plus de taxes, plus d’emplois et surtout des compensations financières à la hauteur des dégâts environnementaux causés par les compagnies pétrolières étrangères qui exploitent les forages.
Les coups d’éclat des Jeunes Ijaws, pour mettre ces revendications en avant, ne sont pas rares. En avril 2002, des militants sont montés sur une plate-forme pétrolière du géant Chevron-Texaco au large des côtes et ont pris en otage près de 90 employés étrangers et nigérians pour appuyer leurs demandes d’emplois. Les assaillants ont remis en liberté leurs otages trois jours plus tard. L’occupation pacifique d’un terminal de Chevron par 600 femmes, trois mois plus tard, pour de meilleures compensations financières, avait également fait couler beaucoup d’encre.
Et l’alternance politique qu’a connu le Nigeria en 1998 n’y a rien fait, selon Human Rights Watch. Les forces de l’ordre nigérianes répondent toujours aux revendications des Ijaws avec la même violence. Pire, les 36 Etats producteurs de pétrole touchent encore moins de dividendes qu’auparavant. La Constitution de 1999 stipule que 13 % du revenu pétrolier du pays doit être allouée aux Etats producteurs de pétrole, mais Olusegun Obasanjo, interprétant le texte, a limité cette allocation au revenu provenant des ressources pétrolières terrestres. Une interprétation que la Cour suprême du pays a confirmé en mai 2002.
Youssouf Bengrid