Sur le continent africain, une nouvelle forme de rivalité internationale se dessine loin des projecteurs. La Russie et la Chine y déploient leurs sociétés de services de sécurité et de défense (ESSD) dans une compétition discrète mais acharnée pour l’influence. Une étude de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) révèle les contours de cette rivalité qui redessine la carte géopolitique africaine.
La présence chinoise s’affirme d’abord par les chiffres : 282 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2022. Mais derrière ces investissements massifs se cache un besoin croissant de sécurité. Les entreprises chinoises, confrontées à l’instabilité de certaines régions, font désormais appel à leurs propres services de sécurité pour protéger leurs intérêts.
Dans ce contexte, des sociétés comme Frontier Services Group, dirigée par Erik Prince, ancien de Blackwater, se sont positionnées sur ce marché en pleine expansion. De la surveillance des sites industriels à la protection des données numériques, ces entreprises assurent une présence discrète mais efficace. Pékin privilégie une approche légaliste, multipliant les accords avec les gouvernements locaux. Pourtant, des voix s’élèvent déjà contre une stratégie qui semble parfois faire passer les intérêts chinois avant les besoins des populations locales.
La stratégie russe emprunte un chemin radicalement différent. Jusqu’en 2023, le groupe Wagner en était la parfaite illustration, mêlant opérations militaires et exploitation des ressources naturelles, de la Centrafrique au Mali. La disparition brutale d’Evgueni Prigojine a rebattu les cartes. Moscou a repris directement le contrôle de ses opérations africaines à travers Africa Corps, cherchant à préserver son influence tout en tentant d’effacer les excès du passé.
Des influences qui se croisent de plus en plus
Sur le terrain, ces deux approches se croisent plus qu’elles ne s’affrontent. Les Russes interviennent dans les zones de conflit ouvert, pendant que les Chinois sécurisent leurs investissements économiques. Mais cette apparente complémentarité commence à se fissurer. En Afrique de l’Est notamment, les intérêts de Moscou et de Pékin s’entrechoquent de plus en plus souvent.
Pour les pays africains, cette situation pose un dilemme croissant. Face à leurs défis sécuritaires, le recours aux ESSD étrangères apparaît comme une solution tentante. Mais le prix à payer est souvent lourd : une dépendance accrue envers ces acteurs privés et un risque pour leur souveraineté, c’est notamment le cas avec l’ex Wagner, qui retire énormément d’argent de l’exploitation des mines. Pourtant, les anciennes puissances coloniales, France en tête, peinent à proposer une alternative crédible.
L’étude de la FRS souligne l’urgence d’encadrer ces activités. Sans règles claires, l’Afrique risque de devenir le terrain d’une concurrence débridée entre puissances. Les conséquences pourraient être désastreuses pour la stabilité du continent.
Cette nouvelle forme de présence étrangère en Afrique marque un tournant dans les relations internationales. À travers leurs sociétés de sécurité privées, Russes et Chinois réinventent leurs modes d’influence, loin des schémas traditionnels de la colonisation. Pour l’Afrique, le défi est maintenant de tirer profit de cette situation sans y perdre son autonomie et ses ressources.
Le rapport complet de la FRS offre une analyse détaillée de ces enjeux complexes. Il rappelle que l’avenir de l’Afrique se joue aussi dans ces zones grises où public et privé, sécurité et économie, influence et développement s’entremêlent de façon inédite.