L’aviation des Forces armées de Côte d`Ivoire a bombardé jeudi à trois reprises les positions des ex-rebelles dans leur fief de Bouaké, faisant remonter la tension en Côte d’Ivoire. Des avions Sukhoï 25 ont également bombardé les positions rebelles de Korhogo, la principale ville du nord du pays. A Abidjan, les bureaux des quotidiens 24 Heures et Le Patriote ont été saccagés, de même que les sièges du RDR et du PDCI-RDA (partis politiques de l’opposition). Différentes sources font état, de surcroît, de combats terrestres dans le centre du pays. Les Accords de Linas-Marcoussis et d’Accra III sont donc balayés d’un revers de la main.
Alors que la communauté internationale analyse les résultats de la présidentielle américaine et s’inquiète pour Yasser Arafat, le leader palestinien, les Forces armées de Côte d’Ivoire (Fanci) ont bombardé jeudi, aux alentours de 7h puis 11h (heures locales) le quartier général des Forces Nouvelles de Bouaké, dans l’Ouest du pays. La Compagnie territoriale de Korhogo (CTK), le plus grand camp militaire des ex-rebelles situé dans la principale ville du nord, a été « complètement détruit », selon une source de l’AFP. Par ailleurs, des militaires confirment la destruction d’un pont sur le fleuve Léraba, qui marque la frontière avec le Burkina-Faso. Selon le secrétaire général des Forces Nouvelles (FN, ex-rébellion), Guillaume Soro, ces bombardements ont causé la mort de trois personnes et en ont blessé « au moins » une vingtaine. L’organisation Médecin sans frontières (MSF), en charge de l’hôpital de Bouaké, indiquait, quant à elle, avoir soigné 39 personnes en « urgence », dont 14 civils, toutes atteintes par des balles de mitrailleuse.
Les forces armées de Côte d’Ivoire s’inspireraient, d’après le quotidien ivoirien l’Inter de la “ blitz krieg ” (guerre-éclair ; stratégie militaire allemande utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale) pour mener leur projet de libération du pays. Les bombardements ont été effectués à l’aide de chasseurs-bombardiers Soukhoï d’origine russe, ayant servi durant la guerre d’Afghanistan.
Peur sur Abidjan
La spirale de la violence frappe également la capitale ivoirienne. En effet, des manifestants proches du pouvoir s’en sont pris à différents groupes de presses, les accusant de soutenir la rébellion. Selon des témoignages recueillis sur place, des individus, estimés à environ 200 personnes, sont arrivés au pas de course dans les locaux du Patriote, et ont saccagé les lieux. Trente minutes plus tard, un autre groupe faisait irruption dans les locaux du journal 24heures. Le quotidien Le Nouveau Réveil, proche du PDCI-RDA et du G7 (ndlr : formation politique des ex-rebelles) a également subi l’assaut d’une dizaine de jeunes gens en milieu d’après-midi. Les casseurs, d’après certains témoins, scandaient des slogans hostiles aux partis proches de l’opposition.
Reporter sans frontières se déclare indignée et écœurée par cette vague de répression, et parle de « jeudi noir pour la liberté d’expression en Côte d’Ivoire ». Rappelons que les liaisons vers l’ensemble du pays sont perturbées (le téléphone, l’eau et l’électricité sont suspendus dans les zones sous contrôle des Forces Nouvelles) et qu’un sabotage a interrompu la diffusion des émissions de Radio France Internationale (RFI), de la BBC et d’Africa N°1 sur la bande de modulation de fréquence (FM) à Abidjan.
Les sièges du RDR et du PDCI incendiés
Les sièges du RDR et du PDCI incendiés et pillés
Le siège du Rassemblement des Républicains (RDR), parti de l’opposant Alassane Ouattara, a été pillé puis incendié dans la nuit de jeudi à vendredi à Abidjan, a appris l’AFP de sources concordantes.
Le siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ex-parti unique, désormais dans l’opposition), a de son côté été saccagé jeudi en fin d’après-midi selon des sources de ce parti. « Des véhicules 4×4 sont venus vers 0h40 (locales) au siège central du RDR », a expliqué le porte-parole du parti, Amadou Coulibaly. « Ils ont pillé tout ce qu’ils pouvaient piller avant de mettre le feu. Nous avons appelé les pompiers en vain pendant une heure », a-t-il ajouté. Vendredi matin, de la fumée sortait encore des locaux du RDR, a constaté l’AFP.
Fin des Accords de Marcoussis
De l’avis de Guillaume Soro, porte-parole des ex-rebelles, « Marcoussis est compromis. Par ces attaques, tous les accords tombent à l’eau et la Côte d’Ivoire se retrouve dans une nouvelle impasse. Ces affrontements peuvent conduire à beaucoup de massacres et enflammer la sous-région. Nous constatons que interposition des Français a simplement permis au régime de M. Laurent Gbagbo de se surarmer. Et appuyé sur ce sentiment de supériorité, il n’a pas de problème pour outrepasser les accords qu’il a signés, et mener des offensives dans nos zones. Ce qui est d’autant plus écœurant, c’est que ces forces (12 000 soldats étrangers) regardent impunément le régime procéder au massacre des civils ». Pendant ce temps, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, s’est déclaré, par le biais de son porte-parole, « gravement préoccupé par les actions militaires qui se déroulent en Côte d’Ivoire ». Il invite le Président Laurent Gbagbo et toutes les parties à mettre immédiatement un terme aux hostilités, en appellant à la reprise immédiate du dialogue.
Le ministre français de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a condamné jeudi les raids aériens menés contre les rebelles à Bouaké. « Nous condamnons ces faits », a déclaré Mme Alliot-Marie à la presse, en marge d’une visite au 6ème régiment du génie d’Angers (centre). « Ces raids sont éminemment préoccupants et montrent une dégradation de la situation », a ajouté le ministre pour qui « la seule solution est une solution politique ». Il faut croire que les forces françaises sur place attendent les ordres et se contentent d’observer sans intervenir. Le porte-parole du Quai d’Orsay, Hervé Ladsous, a fait savoir vendredi que la France lançait « un nouvel appel pour le respect du cessez-le feu en Côte d’Ivoire ».