La nouvelle exposition du Musée Dapper, à Paris, explore la thématique du geste dans la statuaire kôngo. Une occasion de découvrir des pièces rarement montrées au grand public et de lever le voile sur une symbolique et une vision du monde étonnantes. Celles des peuples kôngo.
Ce sont de grandes statues hérissées de clous ou de lames de fer et armées de couteaux qui ouvrent la nouvelle exposition du Musée Dapper, Le Geste kôngo. Impressionnantes et quelque peu inquiétantes. Fascinantes. Ce sont des nkisi nkondi. Chez les Kôngos, le nkisi désigne la force enfermée dans un support matériel, comme les statues et statuettes, dont la forme dépend de son utilisation et du groupe ethnique qui l’utilise. Le nkisi sert à communiquer avec l’au-delà, à se protéger, se guérir. Confectionné dans le plus grand secret, il appartient à une caste particulière.
Ainsi, les nkisi nkondi, manipulés par un nganga (officiant du culte, médiateur entre les vivants et le monde surnaturel), servent dans les règlements de litiges et accompagnent la conduites des affaires du groupe. Avec les 110 oeuvres réunies pour l’exposition (dont la plupart n’avaient jamais été exposées), le musée Dapper aborde pour la première fois la thématique du geste dans la statuaire. Pas n’importe laquelle puisque » la gestuelle est omniprésente chez les Kôngo, fondée sur une vision particulière du monde, celui-ci étant divisé en deux parties complémentaires : le monde des vivants et celui des forces surnaturelles « , explique Christiane Falgayrettes-Leveau, la directrice du Musée.
Déportations des Kôngo
Les Kôngo regroupent différents peuples comme les Vili, les Lâri ou les Bêmbé (quelques 6 millions d’individus en tout) et sont localisés au Congo, en République démocratique du Congo, avec une extension au Gabon et en Angola. Au gré des déportations esclavagistes vers les Amériques, les peuples Kôngo se sont également retrouvés au Brésil, en République Dominicaine, à Cuba et à Haïti. » Transplantés dans l’univers hostile de l’esclavage, les Kôngo perpétuèrent à travers les danses et les arts martiaux, notamment la capoeira, quelques gestes, tels le lancé de jambes, les bras levés, les mains sur les hanches, gestuelle que le monde occidental a adoptée aujourd’hui « , note la directrice dans l’introduction du superbe catalogue qui accompagne l’exposition.
Le commissaire de l’exposition, Robert Farris Thompson, professeur d’histoire de l’art à l’université de Yale et spécialiste éminent des cultures kôngo, a répertorié les différentes positions des statues kôngo. La position assise, sendama, agenouillée, fukama, accroupie, sondama, penchée, yinama ye yekuka, debout, telama, et enfin les statues étendues sur le dos, le visage vers le ciel, seeka.
Regard blanc
La position debout, mains sur les hanches, légèrement agressive, est signe de puissance, de détermination, de vigilance et de réactivité. Le nkisi semble indiquer qu’il est prêt à combattre le mal. Certaines statues ont la main gauche sur la hanche et la main droite levée, brandissant une arme (couteau ou lance qui ont souvent été perdus). C’est dans cette position que le nkisi montre qu’il affronte les forces négatives et neutralise les dangers, quels qu’ils soient. La main gauche posée sur le genou signale le calme et le contrôle de soi alors que la position debout, une main pointée vers le ciel et l’autre vers le bas est celle d’un médiateur entre les deux mondes.
Le langage des yeux occupe aussi une place importante. Le » regard blanc » de certaines figures, notamment celles des Bêmbé, se rapporte aux yeux révulsés des personnes en transe et révèlent que les frontières ont été franchies. Les yeux presque fermés, indiquent la transition, le passage d’un monde à l’autre et sont associés à la sérénité ; les yeux agrandis, avec le blanc très visible et les pupilles comme des points d’exclamation, traduisent la colère. Les yeux sont aussi grand ouverts pour déceler le danger ou se ferment en signe d’introspection avant de communiquer avec les ancêtres.
Les figures présentées au Musée Dapper vous en mettront plein les yeux. Comme le rappelle Robert Farris Thompson, » pour les Kôngo, les gestes créent des portes (bimwelo) menant à la compréhension « . A vous d’ouvrir ces portes pleines de mystères.