Le sommet de la Francophonie doit se tenir en octobre à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC). L’association Convergence pour l’Emergence du Congo (CEC) dénonce la tenue d’un sommet dans un pays où les droits de l’homme sont constamment bafoués. Elle a saisi la justice française pour empêcher que l’évènement ait lieu. Jean-Louis Tshimbalanga, président de l’association, explique les raisons de la colère.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous saisi la justice pour empêcher le sommet de la Francophonie de se tenir en République démocratique du Congo (RDC) ?
Jean-Louis Tshimbalanga : Notre refus de la tenue de ce sommet est basé sur le droit. La Francophonie est une communauté de partage, réunie autour d’une langue, le français. Il y a des règles à respecter au sein de cette communauté. Une charte qui régit ces règles existe. Il s’agit de la déclaration de Bamako du 3 novembre 2010 qui stipule cinq règles à respecter pour tout membre de la Francophonie :
Le premier point : est le constat de la pratique démocratique des pays membres de la Francophonie.
Le deuxième point : c’est le respect des droits humains. La démocratie, système de valeurs universelles, est fondée sur la reconnaissance du caractère inaliénable de la dignité et de l’égale valeur de tous les êtres humains ; chacun a le droit d’influer sur la vie sociale, professionnelle et politique et de bénéficier du droit au développement.
Le troisième point : Francophonie et démocratie sont indissociables : il ne saurait y avoir d’approfondissement du projet francophone sans une progression constante vers la démocratie et son incarnation dans les faits.
Le quatrième point : l’instauration de l’Etat de droit, dont les institutions doivent être renforcées.
Le cinquième point, l’un des plus importants : c’est la mise en l’application de cette déclaration pour toute personne qui a pris le pouvoir par les armes. La première chose à faire c’est de statuer sur les sanctions des personnes qui ont usé de telles pratiques. Et le pays en question n’est pas convié lorsqu’il y a des réunions internationales.
Plusieurs pays, dont l’organisation a estimé qu’ils n’ont pas respecté ses règles, ont déjà été suspendus : le Mali, la Mauritanie, Madagascar et la Guinée-Bissau. Si ces pays ont été suspendus alors pourquoi la RDC ne le serait pas également ? Lorsqu’il y a des textes qui régissent une communauté ils doivent être appliqués pour tous, sans exception. Nous ne comprenons donc pas cette interprétation à double vitesse du texte de la déclaration de Bamako, alors que les pays qui ont été suspendus ont eu des situations de violation des droits de l’homme moins graves qu’en RDC ?
Afrik.com : Que dénoncez-vous dans le régime du Président Joseph Kabila ?
Jean-Louis Tshimbalanga : Le régime de Kabila n’est pas un état de droit mais policier. Lors des élections, l’union européenne a envoyé des observateurs pour vérifier que le scrutin se déroulait dans de bonnes conditions. Leur rapport dit clairement qu’il y a eu des fraudes massives, entrainant des élections non crédibles. Les Etats-Unis ont également envoyé le centre Carter pour superviser le scrutin. Même constat. L’ONU, qui est même au dessus de l’organisation internationale de la Francophonie, indique dans plusieurs de ses rapports qu’il y a eu de graves violations des droits de l’homme et des tueries avant et pendant les élections. Les droits de l’homme sont bafoués tous les jours. Le régime de Joseph Kabila est antidémocratique. La population pleure ses bulletins de vote volés. Les femmes sont violées tous les jours. Le pays est agressé par ses pays voisins, on le sait, qui sont le Rwanda et l’Ouganda. Ce sommet ne peut donc pas avoir lieu. Sinon c’est une insulte au peuple congolais. Si le sommet a lieu, il va déshonorer la Francophonie. Le secrétaire général de l’organisation internationale de la Francophonie (OIF) Abdou Diouf est censé veiller sur la communauté. S’il a des rapports qui contredisent ceux de la Commission Electorale de l’Union Européenne, du Centre Carter et de l’ONU, qu’il nous les présente afin de justifier la tenue de ce sommet à Kinshasa, sinon nous sommes en droit de spéculer sur lui et de croire à une machination de sa part et de l’OIF.
Afrik.com : Vous semblez beaucoup en vouloir à Abdou Diouf. Pourquoi ?
Jean-Louis Tshimbalanga : Je n’en veux pas à la personne même d’Abdou Diouf, qui est comme un père pour moi. C’est en tant que secrétaire général de la Francophonie que je suis en désaccord avec lui. C’est à lui de persuader le Président François Hollande de ne pas tenir ce sommet à Kinshasa, car contrairement à la promesse que lui avait faite Joseph Kabila, elle n’a pas été tenue. S’obstiner à tenir cette Francophonie dans une telle situation laissera la porte ouverte à toute spéculation allant du favoritisme et de la machination. Ce qui non seulement discréditera cette Organisation, mais la déshonorera aussi à la face du monde, car c’est aussi une insulte au peuple français et à la France, seuls détenteurs de la culture de la langue française à laquelle nous sommes appelés à partager et échanger au sein de la communauté francophone. Le 12 et 13 février, monsieur Abdou Diouf a été convié à une réunion à Genève sur la Syrie. Il a déclaré avoir une grande compassion pour le peuple syrien. Pourquoi ne pas condamner de la même façon Joseph Kabila alors qu’il y a une crise majeure en RDC. La tenue d’un tel sommet est immoral auprès d’un peuple qui pleure ses milliers de morts que personne ne dénonce. Maintenant, on veut les humilier en tenant un sommet de la Francophonie.
Afrik.com : Pour le moment le président français François Hollande ne s’est pas prononcé sur sa participation à ce sommet. Est-ce selon vous un signe qu’il ne s’y rendra pas finalement ?
Jean-Louis Tshimbalanga : C’est un président qui ne tergiverse pas avec la justice. Là-dessus il a été très clair. François Hollande ne se laisse pas entrainer dans des machinations. Il ne veut pas violer le patrimoine de la langue française. Il doit se référer aux textes qui régissent la Francophonie. Mais en réalité la question n’est pas celle de savoir si le Président François Hollande va s’y rendre ou non, la question est : Pourquoi la Francophonie transgresse-t-elle ses propres textes pour aller tenir un sommet dans un pays qui doit être frappé par des sanctions prévues comme on l’a fait avec le Mali, la Mauritanie, la Guinée Bissau et le Madagascar, en évoquant le chapitre 5 de la « Déclaration de Bamako » ?
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