Sally Nyolo est venu fêter la Francophonie à Tokyo où elle a donné, mercredi, un concert au Shibuya Club Quattro. « Chanter en français et en Eton devant un public japonais, c’est l’une des plus belles expériences de ma vie ».
Sally Nyolo est venu fêter la Francophonie à Tokyo où elle a donné, mercredi, un concert au Shibuya Club Quattro. La chanteuse camerounaise a séduit le public japonais en chantant des histoires pleines de couleurs, d’Afrique, d’ici et d’ailleurs. Rencontre avec une baroudeuse des sens et des sons.
Sally, une tournée au Japon avec le groupe Zap Mama en 1993 s’était soldée par un disque live. Puis dans votre deuxième album solo Multiculti on découvrait le titre « Reggae in Japan » dédié à un certain Ras Harri d’Osaka. Avez-vous des connexions particulières dans l’archipel ?
Sally Nyolo : Non… mais je me souviens que notre tournée avec les Zap Mama s’était très bien passée, le public était très émouvant. Ils étaient subjugués par les chants a capela. La chanson « Reggae in Japan »est née en mémoire d’une rencontre pendant ce voyage.
Vous avez entamé le concert par Petit Ami, suivit immédiatement par Zaïone, deux chansons de votre dernier disque qui évoquent l’enfant qui va naître ou celui déjà né. Zaïone semble votre album le plus maternel…
Sally Nyolo : Oui, j’ai même chanté « Zaïone » lorsque j’étais enceinte. Mais c’est avant tout l’album du partage. J’ai ouvert la porte et jeté des ponts vers les autres. Il ressemble à Multiculti pour ça. J’ai beaucoup partagé les thèmes de l’amour et de l’amitié avec Nathalie Cardone, Princesse Erika, Jean-Jacques Milteau ou Sylvie Nawasadio, mon ex-consoeur de Zam Mama. Sur le titre « J’attends Abeba » nous chantons les rêves d’Amérique, de ces gens qui parlent en exil qui ne savent si c’est pour toujours ou s’ils reviendront… J’ai voulu emmener plus de monde sur ces rythmes. Je chante aussi des choses plus graves mais en solo.
Dans une de vos chanson « Jay Know » il y a un thème qui colle parfaitement à la société japonaise : celui des femmes qui écopent de toutes les taches ménagères, de l’éducation des enfants… Est-ce l’Afrique qui vous a inspiré ce sujet ?
Sally Nyolo : Non, c’est très rigolo parce qu’en écrivant cette chanson avec Princesse Erika, on ne pensait pas aux Africaines, on pensait aux Françaises et aux Européennes. Cette chanson, c’est un clin d’oeil vers la jeunesse européenne, française, masculine, qui à force d’être trop couvée, d’être trop restée entre papa et maman, à attendre le dernier moment pour sortir du cercle et de couper le cordon, est très peu préparée à construire sa vie. Et c’est leur « princesse » qui devra s’occuper d’eux. Ce sont des choses que nous avons remarquées autour de nous et c’est vraiment un problème qui se pose en France, Nos jeunes hommes ne sont pas toujours aptes à partager leur vie de couple avec leur bien-aimée aussitôt qu’ils se sont engagés. Trop couvés à la maison, pas assez pris de responsabilités…
Votre premier album, Tribu, était entièrement chanté en Eton, votre langue natale. Désormais, vous chantez en Eton, Français, Anglais, Portugais… Est-ce pour qu’on puisse mieux vous comprenne ?
Sally Nyolo : Il y a aussi du Yuluba ! Mais pour répondre à votre question, non, j’ai toujours aimé chanter les langues. Dans Multiculti, je chantai aussi en Français, Anglais et Eton… Il y a près de 210 langues au Cameroun.
Une Camerounaise exilée en France qui chante en Eton devant un public japonais… C’est assez inhabituel. D’après-vous, comment les Japonais accueillent, recueillent, votre concert ?
Sally Nyolo : Ils me reçoivent avec leur esprit. Derrière cette langue qu’ils ne connaissent pas, ils entendent sa musicalité, en découvrent ses traits d’esprit quand je raconte mes textes entre deux chansons … Aujourd’hui, c’était un challenge de parler en français à des Japonais… et je me suis rendu compte que beaucoup d’entre eux comprenaient. Cette fête de la Francophonie, c’est aussi une façon de dire que le français est une langue véhiculaire avec laquelle on peut voyager. J’ai fait de l’Eton ma langue véhiculaire, ma langue d’esprit avec laquelle je pars à travers le monde. Mais le français, ma deuxième culture, est devenu ma deuxième langue véhiculaire et je suis heureuse de pouvoir communiquer en français et en Eton pour chanter. Parler en français à un public japonais, c’était assez beau, assez joyeux et ils ont répondu ! C’était extraordinaire.
N’y a-t-il jamais de frustration à chanter une langue très peu répandue, que les autres ne comprennent pas ?
Sally Nyolo : Non, je ne me suis jamais dit : « c’est dommage que le public ne comprenne pas la langue Eton ! ». Et je me suis toujours appliquée à donner l’Eton, le plus beau, avec les images les plus belles et les plus soignées. Je me suis amusée à bien conjuguer les verbes, sachant qu’une partie du public ne comprendrait pas forcément. Mais si un jour la langue Eton devient une langue qu’on étudie en universités, avec un vocabulaire et des conjugaisons bien écrits, les gens pourront retourner à mes chansons, à ces albums, et comprendre la subtilité de certaines images. Non, ça ne m’a jamais freiné, au contraire. Je suis persuadée qu’en Afrique, ces langues pas toujours écrites ont des messages à délivrer, à donner au monde.
On fête la francophonie aujourd’hui, qu’est-ce cela représente pour vous ?
Sally Nyolo : Au Cameroun, les gens sont très polyglottes. Les habitants de la forêt parlent au moins 4 ou 5 langues, plus le français. La Francophonie pour moi, c’est le français parlé en Afrique, parlé au Cameroun avec l’esprit de ces 210 langues. C’est ce qui ressort derrière, qui fait aussi la richesse de ce français qui a voyagé. Ce n’est plus l’accent, c’est l’esprit qui se cache. Chaque langue à cet esprit magnifique avec ses propres images et quand quelqu’un est habité par cet esprit et a envie de parler, de communiquer avec les autres, que ce soit en français ou dans les 210 autres langues, il s’applique toujours à y mettre son propre esprit, ses propres images. Un français parlé dans les différentes régions du Cameroun n’est jamais vraiment le même. Le français du Camerounais ne sera pas le même que celui de l’Ivoirien, ni du Sénégalais, ni même du Malien. La Francophonie, c’est l’esprit de cette belle langue qui s’est développée, qui a couru le monde et qui est portée maintenant par différents esprits. C’est ce qui est beau, ce que j’admire. M’exprimant en français et en Eton, m’amuser à mélanger les verbes Eton et français devant un public japonais… Aujourd’hui venir la défendre au Japon, c’est l’une des plus belles expériences de ma vie.
Propos recueillis par Laurent Benchana/Nippon News pour Afrik.com