La France a rendu hommage, dimanche, aux soldats de ses anciennes colonies qui se sont battus lors du Débarquement de Provence (15 août 1944). Et le gouvernement français s’est félicité d’avoir réglé le problème de la « cristallisation » des pensions des anciens combattants étrangers. Malheureusement, le décret adopté en novembre 2003 ne met pas fin à plus de 40 ans d’injustice : le sang des anciens « tirailleurs » subsahariens et maghrébins vaut toujours moins cher que celui des Français.
Alors que la France a rendu hommage, dimanche, aux soldats de ses anciennes colonies qui ont participé au Débarquement de Provence le 15 août 1944 et contribué à la libération du pays, la question des pensions de ces anciens combattants est on ne peut plus d’actualité. Pourtant, dans son discours à l’occasion de ce 60ème anniversaire du débarquement de Toulon, le Président français a soigneusement évité d’évoquer le sujet qui fâche. Malgré la présence de quinze chef d’Etat africains aux cérémonies, malgré le fait qu’il ait décerné la Croix de la Légion d’honneur à la ville d’Alger et qu’il ait décoré 18 vétérans africains subsahariens et maghrébins, Jacques Chirac a préféré ne pas aborder le problème de la « cristallisation » des pensions des anciens combattants africains.
Ces derniers ont eu, jusqu’en 1958, les mêmes droits à pension que les nationaux français. Mais en 1959, puis en 1960, en liaison avec les processus de décolonisation, le Parlement français a adopté un dispositif dit de « cristallisation », qui a transformé leurs pensions et leurs retraites en « indemnités » non indexables sur le coût de la vie. Résultat : un système à multiples vitesses et des montants versés aux anciens combattants étrangers jusqu’à dix fois inférieurs aux pensions perçues par les Français. Exemples : la retraite versée à quiconque ayant passé plus de 90 jours dans une unité combattante est d’environ 427 euros pour un Français, 175 euros pour un Centrafricain et 56 euros pour un Algérien… Les invalides de guerre français reçoivent 687 euros par mois, contre 229 euros pour les Sénégalais et moins de 76 euros pour les Tunisiens et les Marocains.
Perpétuer la discrimination
Il aura fallu attendre plus de 40 ans pour que ce dispositif injuste soit remis en cause. Le 30 novembre 2001, le Conseil d’Etat a sanctionné les autorités françaises pour leur refus de revaloriser la pension militaire d’Amadou Diop, ancien sergent-chef sénégalais, en procès depuis 1996. Aujourd’hui décédé, il s’était vu reconnaître ses droits et accorder une quarantaine d’années d’arriérés de pension. Obligé de se conforter à la décision du Conseil d’Etat demandant l’égalité de traitement, le gouvernement socialiste de Lionel Jospin a, un temps, pensé à exaucer le vœu des anciens combattants étrangers et des associations qui défendent leurs droits : l’alignement complet des prestations des étrangers sur celles des Français. Coût de l’opération : 1,83 milliard d’euros pour satisfaire un peu plus de 80 000 personnes… Trop cher pour le ministère des Finances qui a rapidement évoqué un risque « de déstabilisation des structures sociales des pays » et une « pertubation des économies locales » face à des fortunes subites.
Un argument repris par le gouvernement Raffarin pour justifier la « décristallisation » partielle adoptée par décret en novembre 2003, après deux ans de tergiversations. Une décristallisation loin d’être égalitaire car modulée en fonction du niveau de vie dans chacun des pays. Une façon de perpétuer la discrimination. Mais sous une autre forme. La maigre revalorisation qui en découle fait que les anciens combattants étrangers continuent de percevoir des sommes jusqu’à sept fois inférieures à celles de leurs anciens compagnons d’armes français. Au Sénégal, par exemple, l’augmentation est à peine supérieure à 15 euros par mois.
Wade n’y croit pas
Vendredi dernier, un communiqué du ministère français délégué aux Anciens Combattants a annoncé que « les pensions de 80 000 anciens combattants de l’armée française, originaires des anciennes colonies, ont été augmentées de 20 à 100% depuis avril ». Le texte indique que 120 millions d’euros ont été inscrits au budget de 2004 pour financer les revalorisations mais ne précise pas le montant alloué pour le budget de 2005, qui doit être présenté au conseil des ministres en septembre prochain. En outre, par le décret de novembre 2003, les veuves de guerre sont autorisées à demander une pension de reversion et les invalides peuvent faire réviser leur pension si leur état de santé s’est aggravé. Mais les pensionnaires se voient accorder une revalorisation rétroactive pour quatre années seulement.
Ce qui n’a pas empêché, à la veille des commémorations de dimanche, la ministre française de la Défense, Michelle Alliot-Marie, de déclarer : « La question des pensions versées par l’Etat français aux anciens combattants de l’empire colonial est aujourd’hui un problème réglé conformément à l’équité. (…) Avec la décristallisation, nous avons voulu marquer la reconnaissance de notre pays et rétablir une égalité de traitement entre les anciens combattants français et ceux venant des autres pays ». Pour autant, les revendications des anciens combattants africains sont encore à l’ordre du jour : certains d’entre eux ont notamment maintenu leur plainte devant la justice française pour obtenir que l’arrêté du Conseil d’Etat soit pleinement appliqué. Et ils ont trouvé, dimanche, un porte-parole de choix en la personne du Président sénégalais Abdoulaye Wade, présent dans la rade de Toulon. Ce dernier a qualifié la loi de cristallisation d’« injustice dénoncée par tout le monde ». Indiquant que ces célébrations étaient le « début d’une réhabilitation, d’une reconnaisance et du service rendu par l’Afrique à la France », il a ajouté : « Qu’un jour, les Africains et les tirailleurs sénégalais touchent les mêmes pensions que les Français, je le souhaite, mais je n’y crois pas. Il faudrait que l’Assemblée nationale de France se saisisse de cette question qui ne sera jamais réglée par un gouvernement. »