En réponse à la pression migratoire croissante sur ses côtes, l’Italie a signé un accord controversé avec l’Albanie, fin 2023. Ce partenariat vise à externaliser l’accueil des demandeurs d’asile en créant des centres sur le sol albanais, sous juridiction italienne. Ce modèle intéresse plusieurs pays européens, dont la France, mais il soulève des vives critiques sur le plan éthique et juridique. Au centre, la question du respect des droits fondamentaux des migrants et la responsabilité de l’Europe en matière d’asile.
Depuis la fin de l’année 2023, un accord bilatéral signé entre l’Italie et l’Albanie suscite de vives réactions au sein de la communauté internationale. Cet accord prévoit la construction et la gestion de centres d’accueil pour migrants sur le sol albanais, un mécanisme destiné à alléger la pression migratoire sur les côtes italiennes. Au-delà de son efficacité supposée, cet accord soulève d’importantes questions éthiques, juridiques et politiques.
Les principes du système : une externalisation des frontières
Concrètement, l’accord permet aux autorités italiennes de transférer vers ces centres albanais les migrants secourus en mer méditerranéenne. Une fois sur place, ces derniers y déposent leur demande d’asile sous juridiction italienne, bien que situés hors des frontières de l’Union Européenne. L’Italie prend en charge une grande partie des financements pour la construction et la gestion des centres, illustrant ainsi une stratégie de délocalisation de la gestion migratoire vers des pays tiers.
L’objectif affiché par Rome est clair : délester l’Italie des flux migratoires qui pèsent lourdement sur ses infrastructures d’accueil. En ce sens, cet accord s’inscrit dans une tendance plus large visant à externaliser les frontières de l’UE, une pratique déjà observée avec d’autres pays comme la Turquie et la Libye. Les autorités italiennes et albanaises promettent des conditions d’accueil améliorées, arguant que ces centres offriront de meilleures prestations que celles souvent décriées dans les structures de rétention italiennes.
Pour mémoire, le Royaume-Uni a, lui aussi, exploré des solutions similaires pour gérer ses flux migratoires. En 2022, le gouvernement britannique a signé un partenariat controversé avec le Rwanda visant à transférer certains demandeurs d’asile interceptés sur son territoire vers des centres d’accueil situés au Rwanda, où leurs demandes d’asile seraient traitées. Cette initiative a été contesté par les organisations internationales et les défenseurs des droits de l’homme, qui y voient une violation du droit international et des principes humanitaires, pour finalement être stoppé, en juillet 2024. À l’image de l’accord italo-albanais, le Royaume-Uni cherche à externaliser sa politique migratoire vers des pays extérieurs à l’Europe, soulevant ainsi des interrogations sur la légalité et la moralité de telles pratiques, tout en amplifiant le débat sur la responsabilité des nations européennes envers les migrants.
Les critiques et les enjeux : des droits fondamentaux remis en question
Si le gouvernement de Giorgia Meloni se félicite de cet accord qu’il présente comme « un modèle à suivre » pour d’autres pays, l’initiative n’en demeure pas moins controversée. Des ONG et des défenseurs des droits de l’homme dénoncent ce qu’ils considèrent comme une violation flagrante des droits fondamentaux des migrants. Le droit d’asile, inscrit dans la Constitution italienne et protégé par le droit international, se trouve ainsi mis à mal, tout comme le principe de non-refoulement qui interdit de renvoyer une personne vers un pays où elle risque des persécutions.
Par ailleurs, des incertitudes juridiques subsistent quant à la légalité de ces transferts. Le fait de traiter les demandes d’asile en dehors des frontières de l’UE questionne en termes de respect des obligations internationales, soulevant des questions sur la souveraineté albanaise et les responsabilités des autorités italiennes sur le sol d’un pays tiers.
La France et l’UE : vers une généralisation du modèle ?
La question de l’externalisation des frontières se pose désormais au niveau européen. Alors qu’Emmanuel Macron participe à un Conseil européen consacré à l’immigration, le 17 octobre 2024, la France envisage à son tour des mesures similaires pour traiter les demandes d’asile de migrants interceptés dans la Manche. Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement, a indiqué qu’une telle stratégie était à l’étude au ministère de l’Intérieur, « Ça prend beaucoup de temps, c’est de la diplomatie, des échanges. On ne se l’interdit pas« , a-t-elle précisé. S’inspirant de l’accord italo-albanais, la France envisage ainsi de transférer les demandeurs d’asile vers des pays hors UE, sans préciser lesquels pour l’instant.