Le scandale du sang contaminé français a éclaboussé l’Afrique. Selon le Dr Claude Samuel, qui a révélé l’affaire en France, les autorités françaises ont sciemment laissé exporter vers le Continent du sang infecté par le virus du VIH/sida. Interview.
Avec la collaboration de John Dossavi
Le scandale du sang contaminé ne s’est pas limité aux frontières de l’Hexagone. Dans les années 80 en France, des milliers de patients avaient été transfusés avec du sang qui était infecté par le virus du VIH/sida. C’est le Dr Claude Samuel qui avait révélé l’affaire. Ce qui lui a valu d’être radié à vie de l’ordre des chirurgiens dentistes et maintes fois menacé de mort pour avoir fait éclater le scandale en France et dans le monde. Aujourd’hui président fondateur de Dentistes sans frontières et de l’Association de défense des victimes de l’affaire du sang contaminé, il affirme que du sang contaminé a été sciemment envoyé en Afrique, surtout du Nord.
Afrik : Quels sont les pays africains où la France a exporté du sang contaminé ?
Claude Samuel : De part les informations dont je dispose, on peut dire que les exportations ont surtout concerné l’Afrique du Nord, comme la Tunisie, la Libye et peut-être l’Algérie. Pour ce qui est de la Tunisie, de hauts responsables du corps médical français et tunisiens savaient depuis longtemps que les concentrés (mélange d’extraits de sang de plusieurs milliers de donneurs) vendus à prix d’or pour soigner les hémophiles étaient contaminés.
Afrik : Du sang contaminé a-t-il été exporté en Afrique noire ?
Claude Samuel : C’est possible, mais je n’ai pas de preuves pour l’affirmer. En revanche, un professeur agrégé de médecine a déclaré lors d’une émission télévisée, il y a une dizaine d’années, que des expérimentations humaines étaient faites sur une partie de la population d’un hôpital de la République Démocratique du Congo. Selon lui, des équipes médicales sont venues injecter du sang infecté, peut-être pour étudier comment la maladie se développait chez l’être humain. Les expérimentations humaines sont une spécialité française. La France en a notamment fait pour l’hépatite C et pour la mise au point du vaccin contre l’hépatite B.
Afrik : Comment expliquer que certains pays africains aient eu besoin d’importer du sang ?
Claude Samuel : Ils importaient surtout des concentrés, un sang qui est très difficile à obtenir en raison des étapes d’extraction qui sont complexes. S’ils se sont retrouvés à en importer, c’est probablement parce qu’ils n’avaient pas les équipements nécessaires pour les fabriquer.
Afrik : Des familles de victimes de sang contaminé exporté ont-elles porté plainte ?
Claude Samuel : Plusieurs plaintes ont été déposées, mais jusqu’à présent, elles dorment. Nous invitons nos frères africains qui seraient concernés à nous contacter.
Afrik : Les autorités des pays concernés ont-elles réagi face à cet « empoisonnement » ?
Claude Samuel : Si les autorités ont découvert ce qui se passait, elles ont étouffé l’affaire pour ne pas nuire à leurs relations avec la France. Les hauts dirigeants africains n’étaient probablement pas au courant, mais de hauts conseillers médicaux étaient au courant. De hauts responsables de la Croix rouge et du Croissant rouge aussi étaient au courant, à l’inverse d’une partie du personnel qui traitaient les malades sur place.
Afrik : Comment des personnels de santé, sensés avoir pour unique préoccupation le bien-être de leurs patients, peuvent-ils les empoisonner ?
Claude Samuel : En France, des « blouses blanches » (personnel de santé, ndlr), et notamment avec le soutien de hauts conseillers ministériels, ont contaminé en pleine connaissance de cause et sciemment donc empoisonnés des patients français ou résidents ; alors pour des habitants d’un autre pays, pour des anciennes colonies… Il est impossible de savoir combien d’Africains en France, ou de passage en France, ont été contaminés par transfusion et, ne se doutant de rien, ont involontairement contaminés leur conjoint ou leur 2ème bureau (la maîtresse d’un homme, ndlr).
Afrik : Quand les exportations de sang contaminé de la France vers l’Afrique ont-elles cessé ?
Claude Samuel : Elles ont dû s’arrêter, espérons-le, au plus tard en 1987. Mais lorsque la distribution a été interdite en France, elle se poursuivait vers l’Afrique. Le sang représente une très importante manne. Pour en savoir plus il faut notamment interroger l’Association française des donneurs de sang bénévoles et la Fédération internationale des donneurs de sang bénévoles.
Afrik : La France est-elle la seule à avoir exporté du sang contaminé en Afrique ?
Claude Samuel : La France est un cas particulier, car en général ce sont des firmes pharmaceutiques qui fabriquent et vendent les dérivés du sang. Et certaines ont continué à exporter du sang qu’elles savaient contaminé par le VIH/sida.