Dans le monde, près de 800 millions d’adultes ne savent aujourd’hui ni lire ni écrire, selon l’ONU. Parmi eux, 153 millions d’Africains. Pour pallier à ce problème, les institutions de la francophonie investissent dans les domaines de l’éducation. L’augmentation du nombre de citoyens alphabétisés passe par une amélioration de la formation des instituteurs. C’est l’objectif de l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM), co-pilotée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Une initiative présentée ce week-end lors du XIIIe sommet de la Francophonie à Montreux, en Suisse.
L’IFADEM a pour objectif principal d’améliorer les compétences des instituteurs, prioritairement en poste dans des zones rurales, dans le domaine de l’enseignement du français. Une opération qui s’appuie sur un dispositif hybride associant formation traditionnelle et utilisation des nouvelles technologies, dans les quatre pays retenus pour une première expérimentation : le Bénin, le Burundi, Haïti et Madagascar. En charge de ce dossier, Soungalo Ouedraogo, directeur de l’Education et de la Formation à l’OIF depuis 2006. Ancien enseignant, docteur en économie de l’Education, il a auparavant occupé d’importantes fonctions au sein du ministère de l’Education de son pays, le Burkina Faso. Il nous a accordé un entretien.
Afrik.com : Comment a été créée l’IFADEM ?
Soungalo Ouedraogo : L’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres est une commande du XIe sommet de la Francophonie, à Bucarest, en 2006. L’OIF et l’AUF, les chefs d’Etat, nous ont demandé de mettre les choses en œuvre en synergie avec les opérateurs de la francophonie et nationaux. L’Objectif du millénaire numéro 2 est l’éducation pour tous. Mais en réalité, il devrait être l’éducation de qualité pour tous. Pour cela, il y a nécessité de professionnaliser davantage les maîtres. Donc, nous avons imaginé un dispositif de formation à distance multimodal.
Afrik.com : Comment fonctionne-t-il ?
Soungalo Ouedraogo : Nous avons recours à l’utilisation des nouvelles technologies – l’informatique, internet… – parce qu’il n’est pas possible de toucher un grand nombre de personnes avec les modes traditionnels de communication. L’OIF et l’AUF ont mis à disposition des moyens pour cela.
Afrik.com : Quels sont les pays concernés par cette initiative et quelle somme a été débloquée pour la mettre en œuvre ?
Soungalo Ouedraogo : Nous sommes actuellement dans la phase pilote, qui touche quatre pays selon les critères de la francophonie et d’éligibilité : le Bénin, le Burundi, Haïti et Madagascar. Elle a débuté concrètement en 2007. L’AUF et l’OIF ont investi ensemble 1 million d’euros. Cette phase pilote est nécessaire pour éviter les écueils du passé. Elle permet de faire des paramétrages, ce qui est très important ! Par exemple, au Bénin, on nous a dit qu’il y avait 11 000 enseignants à former. Mais nous nous sommes rendus compte que nombre d’entre eux étaient en poste sans avoir reçu une formation initiale. Donc une évaluation est nécessaire pour voir comment la formation peut se faire, et comment les Etats peuvent se l’approprier dans la durée. Pour le moment, l’IFADEM n’est pas un projet mais une initiative. Pour deux pays, le Burundi et le Bénin, la phase pilote est finie, et ils sont en train de passer à la phase d’extension.
Afrik.com : Au delà de l’intérêt intrinsèque de la formation, comment faites-vous pour y intéresser les enseignants?
Soungalo Ouedraogo : L’IFADEM n’est pas la seule affaire des ministres de l’Education. Une convention cadre a été signée en amont par l’AUF, l’OIF et les gouvernements. Il y a des engagements pris par l’Etat sur la question des enseignants. Pour que les enseignants déjà en fonction s’intéressent à la formation sur cinq à neuf mois, cette dernière doit donner lieu à une certification. Il faut que ce certificat aide à leur ascension professionnelle et se traduise d’effets dans leur portefeuille, d’où l’implication aussi des ministres des Finances. Les choses se sont bien passées au Burundi où, la première semaine d’avril 2010, nous avons remis les certificats à Bujumbura ; et au Bénin où, la première semaine de juillet, nous l’avons fait aussi, à Abomé. Environ 600 enseignants ont été formés dans chacun des deux pays.
Afrik.com : L’OIF et l’AUF apporte des fonds. Est-ce que l’Etat d’un pays choisi pour mettre en œuvre l’initiative contribue financièrement lui aussi ?
Soungalo Ouedraogo : L’Etat, stricto sensu, n’a pas déboursé d’argent. Mais par sa collaboration bilatérale, il participe à l’initiative. Par exemple, au Bénin, pour construire les bâtiments équipés de plaques solaires où se déroulait la formation, l’aide de la coopération danoise (Danida) a été sollicitée. Elle est intervenue à hauteur de 800 000 euros environ.
Afrik.com : Comment s’organise concrètement la formation des maîtres?
Soungalo Ouedraogo : Ce qui rend le modèle attractif est que la gouvernance de l’IFADEM prévoit un Comité national de suivi, et au-dessus de lui un Secrétariat exécutif – composé de chaque côté de deux personnes de l’OIF et de l’AUF –, supervisé par un Comité technique, qui a au-dessus de lui un Comité de pilotage. Le rôle du Comité national est de gérer les tuteurs, les rédacteurs de modules faits par des experts internationaux chargés d’élaborer des programmes qui reflètent la réalité de chaque pays. Ces programmes comprennent une initiation à l’informatique et à l’utilisation d’internet. Notre public est composé d’enseignants de brousse, qui souvent se trouvent pour la première fois en contact avec un ordinateur. Donc le premier module consiste à leur donner des rudiments en informatique, l’essentiel de ce qui leur est nécessaire pour suivre une formation dans un espace IFADEM. Ils doivent apprendre à travailler sur les sites collaboratifs, interactifs, mis à leur disposition, et nous leur remettons aussi un coffret didactique. Un cabinet international a fait une évaluation externe qui n’a pas tari d’éloges sur cette formation.
Afrik.com : Ne formez-vous les enseignants qu’à la langue française et à son apprentissage?
Soungalo Ouedraogo : On veut améliorer l’enseignement du français. Le nombre de locuteurs augmente, mais il y a parallèlement une baisse de qualité de la maîtrise de cette langue. Donc, il faut d’abord former les enseignants à la didactique de cette langue, puis des autres disciplines, bien sûr, mais en français. Au Burundi, il y a des modules en kirundi, car les enfants sont exposés au français à l’âge de cinq ans seulement. Donc nous tenons compte du contexte local.
Afrik.com : Qu’en est-il de Haïti et de Madagascar où devaient se dérouler également la phase pilote ?
Soungalo Ouedraogo : Je ne vais pas adopter la langue de bois. A Haïti nous avons rencontré des problèmes, et ceci avant le séisme de janvier dernier. Au niveau national, une fois qu’est signée la convention, il faut un suivi, accompagné d’actes administratifs bien déterminés. Et sur ce point, du retard a été pris. Mais à l’heure où je vous parle, pour Haïti, c’est bon. C’est dans la région des Cayes que l’espace IFADEM a été inauguré il y a deux semaines. Après le séisme, Haïti est devenue une priorité pour la francophonie. Et elle va bénéficier de nos programmes spéciaux d’éducation dans un contexte plurilingue valables en Afrique subsaharienne, en zones arabe et créolophone. D’autre part, notre retard à Madagascar est dû à la rupture de l’ordre constitutionnel début 2009. En vertu de la charte de la francophonie, et surtout de la déclaration de Bamako, l’initiative a été suspendue. Ce qui ne veut pas dire qu’on tourne le dos à la population. En juin 2010, il y a eu trois ateliers de rédacteurs IFADEM à Madagascar, animés par des experts venus du Bénin et du Burundi. Donc, chaque pays n’évolue pas au même rythme.
Afrik.com : Combien d’enseignants comptez-vous former à moyen terme ?
Soungalo Ouedraogo : Notre cycle programmatique sur quatre ans (2010-2013) prévoit de former 80 000 enseignants, ce qui constitue une cible tout à fait atteignable. A la fin de la phase pilote, nous allons continuer d’accompagner les pays. Et après cette étape pilote, nous passerons à la phase d’extension sur tout le territoire. Notre objectif est que chaque pays s’approprie le projet. Ainsi, le 2 novembre, nous allons signer avec le Burundi une convention sur l’extension de l’opération sur l’ensemble du territoire. L’AFD (Agence française de développement) devrait fournir 1,4 millions d’euros pour cinq provinces en 2011. Au Bénin, les partenaires sont aussi mobilisés. Et les bailleurs de fonds seront sollicités à hauteur de 1,9 millions d’euros.
Afrik.com : Quelles sont les perspectives de développement de l’IFADEM?
Soungalo Ouedraogo : Nous avons l’intention de transférer cette initiative à d’autres pays. Nous avons pour l’instant une dizaine de demandes. Cette initiative a l’ambition d’être un projet phare pour la francophonie. Il renforce la synergie entre opérateurs. Et en tant qu’économiste de l’éducation, je vois de nombreuses perspectives pour l’IFADEM. Elle peut être mise en œuvre pour les gestionnaires du système éducatif. Souvent, il s’agit d’enseignants qui ont été extirpés de leurs classes et à qui l’on demande des résultats. Mais ce ne sont pas des magiciens. Il faut les former ! Donc l’IFADEM peut résoudre d’autres problèmes de l’espace éducatif. De plus, il nous faut continuer d’étendre et de démystifier l’outil informatique. J’ai vraiment beaucoup d’espoir pour cette initiative prometteuse.
Consulter :
Le site de l’IFADEM