La fontaine de Sidi-Hassan… d’Ahmed Benzelikha


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Alger la blanche… La blanche Casbah de jadis… avec ses magnifiques labyrinthes dans lesquels on se perd facilement, impossible pour un novice de trouver une issue sans être guidé… tout seul il sera perdu !

Comme une belle femme, dont l’accès à son cœur est verrouillé, les labyrinthes de l’ancienne Casbah se présentent comme des énigmes dissimulant tant d’histoires.

En se faufilant à l’intérieur de la Casbah d’Alger, s’ouvrent devant les yeux de l’arpenteur ses vieux murs, ses longs escaliers, ses allées étroites, un vieux palais dont il ne reste que des ruines ! Certains racontaient qu’il portait le nom de « Dar Es-Sultan » (la maison ou le palais du sultan)… autrefois ces épaves abritaient tout au long de sa muraille de longues branches sur lesquelles étaient accrochées des fleurs de jasmins… remplacées aujourd’hui par de tas d’ordures ! À travers ces ruelles étroites sentait l’odeur titillante d’un café turc mélangé avec quelques gouttes de l’eau d’oranger… En se perdant dans d’autres quartiers de la Casbah d’Alger, l’arpenteur pourrait se retrouver en face d’une vieille fontaine appelée Aïn Sidi-Hassan ou la Fontaine de Sidi-Hassan… Pour seule décoration, figure une bande portant l’inscription : Wa la ghâliba ila Allah (Seul Dieu est vainqueur). Certains disaient aussi que la fontaine devait remonter aux Almoravides, à l’époque de Youssef Ibn Tachfin.

Nous sommes en mai 1830, à Alger, le Dey Hussein reçoit une missive l’informant que la France avait décidé d’attaquer El Mahroussa (Alger)…

« Les nouvelles étaient mauvaises, Charles X a pris la décision ferme d’attaquer Alger, De Bourmont et Dupperé à la tête d’une armée de plus de soixante-dix mille hommes s’approchaient, Hussein Dey était, lui, trop sûr des capacités de la Régence à non seulement repousser l’attaque mais aussi à infliger une cuisante défaite aux français ».

Le Bey Ahmed, n’était pas du tout de l’avis du Dey Hussein, il « (…) savait, lui, que l’Algérie était à la veille de grands bouleversements et ne partageait nullement l’optimisme du Dey Hussein, qui, malgré sa dévotion, ou peut-être à cause d’elle ne voyait pas les nuages s’amonceler à l’horizon d’Alger », mais comme le Dey, voulant « contrecarrer cette maudite expédition française, qui mettait à si rude épreuve la Régente algérienne, laquelle avait pourtant résisté à tant d’autres par le passé ».

Le mausolée de Sidi-Abderrahmane n’était pas loin, pour le Bey, il fallait peut-être s’y rendre et prier surtout… prier fort… très fort…

C’est à travers ce nouveau roman de Ahmed Benzelikha, intitulé La fontaine de Sidi-Hassan, paru chez les éditions Casbah Alger, nous dépeint l’atmosphère fébrile qui régnait à l’époque dans la ville d’Alger « du départ de la flotte française de Toulon à destination d’Alger », … tout le monde répétait que « l’incendie de l’éventail » n’était qu’une excuse infantile pour envahir Alger. En fait, tout le monde savait très-bien qu’après la défaite de la bataille de Navarrine en 1827, la position de la flotte algérienne en Méditerranée s’était affaiblie… Si Raïs Hamidou ou Kheireddine et son frère Arroudj Barbarousse étaient encore en vie, la situation aurait pu être autrement, ne cessaient de répéter les Algérois… Oui.. mais… c’était une autre époque…

En réalité, l’auteur Ahmed Benzelikha nous présente une histoire d’amour, outre qu’elle soit historique… C’est l’histoire de deux belles femmes (une femme concrète, une autre abstraite) : Hasna la fille du grand notable kabyle Da Mohand, et « El Mahroussa », la cité d’Alger, la femme abstraite personnifiée en la capitale et sa magnifique Casbah.

Les deux personnages féminins (Hasna et la cité d’Alger) portent l’amour de toute une époque, un amour envers cette terre que les habitants tenaient une relation si intime si forte, une symbiose d’un amour infini et qui seraient prêts pour la défendre quitte à perdre leur propre vie.

L’amour de Hasna aussi pour Alger, et notamment la Casbah d’Alger, non loin elle peut apercevoir la Qalaa des Banu-Hamad… « (une) ville forteresse bâtie il y a plus de huit siècles par le petit-fils du fondateur même d’Alger, un signe du destin, Hamad ibn Bologhine rejoignit ainsi à travers l’Arbre béni, son grand-père Ziri dans la même résistance aux dangers qui guettaient la Cité-mère ».

Le cœur de Hasna battait aussi pour Mourad, un bel homme brun qui fait chavirer son cœur à mille palpitations, il habite son cœur mais aussi sa tête et tout son être. « Quel homme que Mourad ! Il alliait à la bravoure l’intelligence, il conjuguait le cœur à la raison, il manifestait tant la foi la plus profonde que la sensualité la plus charnelle, il était à la fois force et douceur. Il était son homme. Elle était sa femme. Il l’appelait Fatma, elle le surnommait Al-Habib. Ils étaient tous deux passionnés de la poésie d’Al-Habib Ben Ganoun, ce magnifique poète d’amour originaire de Mascara, qui a voué sa vie et ses plus beaux vers à sa bien-aimée Fatma. Hasna sourit en se souvenant du premier poème que lui avait écrit son fiancé. Elle conservait précieusement le beau parchemin qu’il lui avait offert, avec ces bijoux sertis de corail rouge d’El-Kala ».

Da Mohand était très respecté dans la région et par le Bey et par le Dey, les gens l’aimaient beaucoup car il réussissait toujours à régler leurs conflits sans envenimer les choses, les empêchant ainsi d’avoir des démêlés avec la justice turque. Da Mohand chérissait énormément sa fille unique Hasna, en même temps il sentait au fond de lui une certaine peur et inquiétude inexplicables, bien qu’elle soit promue au jeune Mourad. Possible que la menace des Français sur le sol algérien le rend dans cette situation, ses sentiments se mêlent entre la peur et l’incertitude… le sentiment de la fin d’une époque…

« C’était, on le sentait, la fin d’une époque, une fin que tout le monde devinait violente, tout en s’accrochant à l’espoir de l’éviter, de préserver un quotidien, de sauver un présent, de garantir un avenir. Partout, les gens ne parlaient plus que de la guerre. On la sentait se rapprocher, voguant sur les eaux impétueuses. Allait-elle se briser sur les rochers, comme se brisent les vagues sur la jetée construite par le valeureux Kheireddine ou bien, au contraire, déferler sur la contrée, emportant tout sur son passage ? Nul ne le savait ! L’avenir appartenait à Dieu ! ».

Mais le cœur d’un père ne se trompe jamais ou plutôt rarement car un homme riche au nom de Si Amar s’est entretenu avec Da Mohand pour demander la main de sa fille Hasna même s’il sait d’avance qu’elle est fiancée avec un autre homme mais cela ne l’a pas empêché de proposer à Da Mohand de le rallier à ses affaires de fortune s’il épouse Hasna. Da Mohand qui trouve l’attitude son hôte complètement indigne et insultante s’énerve et rejette sa demande : « Je vous disais bien que vous vous écartiez du droit chemin. Non seulement vous vous permettez de demander la main déjà accordée d’une femme et de surcroît vous venez me proposer la réussite, comme vous dites, contre le mariage de ma fille ! Qui veut dit que j’envie votre réussite ? Je n’en veux pas ! ». Tout menaçant, Si Amar lui fait comprendre ses intentions les plus noirâtres : « Je crois que je me suis mal fait comprendre jusque là, c’est pourquoi je vous propose un autre marché, mon cher futur beau-père, j’épouse votre fille… ! Ou je vous livre vous et tous vos amis conspirateurs (…) aux Turcs qui se feront un plaisir de vous emmurer vivants, après vous avoir fait subir les pires tortures (…) Pensez à votre fille ! Sinon elle n’épousera personne, ce n’est à mes yeux qu’une pauvre femelle que je me ferai un plaisir de l’égorger comme on égorge une brebis, non sans l’avoir auparavant déshonorée, moi et dix nègres, vieux fou ! ».

Hasna qui ne se doutait de rien, fait un mauvais rêve… « Elle se voyait marchant sur une route sinueuse en fin de journée, quand, brusquement, un gros chien tacheté et difforme lui barra le chemin. Il aboyait fort tout en montrant ses crocs »… Hasna se réveille brusquement de son cauchemar, il y a comme une sorte de psychose qui régnait au tour d’elle… peut-être Alger serait en danger !

Il est vrai que la situation soit grave, « les Français devraient bientôt être en vue de la côte algérienne. Le Dey avait instruit les principaux dignitaires de la Régence en vue de mobiliser toutes les forces dont ils disposaient. Les contingents régionaux étaient en route, venant renforcer les régiments d’Alger. La confrontation semblait inévitable ».

Ahmed Bey est très inquiet, il veut s’opposer à la stratégie de Dey Hussein, pour lui il faut absolument laisser les portes de la ville d’Alger fermées, et affronter la flotte française sur les côtes de la mer méditerranéenne. Ahmed Bey sent que cette fois-ci que la menace est d’un autre genre, il souhaite mémoriser tout de la Mahroussa qu’il aime tant.

Les craintes de Ahmed Bey se confirmaient, un soldat l’avait informé de la présence de « trois escadres (…) l’une pour les combats, la seconde de débarquement et la troisième serait de réserve, telles sont les forces qui mouillent actuellement à Sidi-Fredj (…) Le Bey serra les mâchoires, se demandant s’il ne fallait pas désobéir aux ordres du Dey, maintenant que sa stratégie commençait déjà à montrer ses limites, avec le choix de la côte ouest par les Français, alors que Hussein et son gendre l’Agha Ibrahim avaient tablé sur un débarquement des Français sur la côte est, le quartier général des défenses algériennes avait même été établi à Bordj El Harrach ».

Avec ce malheureux dessin, tous les valeureux habitants devraient se joindre à côté de l’armée inkicharia et défendre bec et âme la cité d’Alger. Mourad, le fiancé de Hasna décide de se joindre à côté des défenseurs, « le cœur déchiré », il allait devoir quitter Hasna « pour, peut-être, ne jamais revenir mais il fallait qu’il fasse son devoir car si chacun se défilait, qui donc, demain, empêcherait l’envahisseur de s’en prendre à chaque Hasna d’un pays dont les Mourad, à l’instar de Boabdil, pleureraient comme des femmes, ce qu’ils n’ont pas su défendre comme des hommes ? »

Alger est menacée par le saccage des Français…

Hasna est menacée (sans le savoir) par les dessins noirs de Si Amar…

Des cris retentissaient de partout…

Si Amar réussit à pénétrer à l’intérieur de la demeure de Hasna via un passage secret…

Les Français débarquent sur les côtes de Sidi-Fredj…

Alger est en danger !

Hasna est en danger!

Nous sommes le 14 juin 1830, c’est le commencement d’un long périple d’affrontement qui va durer 132 ans !

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