Ils ne connaissent même plus l’hymne national angolais pour être nés et avoir grandi en RDC. Le 20 juin prochain, 40 000 réfugiés angolais prennent le chemin du retour au pays, certains, après 40 ans d’exil. La perspective de leur départ enchante les partants mais, curieusement, inquiète fortement les populations autochtones.
Tam-tams, danses folkloriques, rythmes endiablés. L’opération d’identification des réfugiés angolais a commencé, lundi 2 juin 2003, dans une sorte de liesse populaire sur le site de Kisenge, à 700 km au Nord-Ouest de la ville de Lubumbashi, à une quarantaine de kilomètres de la frontière entre la RDC et l’Angola. Dans deux semaines, les réfugiés vont pouvoir repartir pour l’Angola, à la faveur du retour progressif à la paix.
La ville de Kisenge abrite actuellement 40 000 ressortissants angolais issus de différentes vagues de réfugiés ayant fui les incessantes guerres qui ont secoué l’Angola depuis son accession à l’indépendance. Ils proviennent pratiquement tous de la province angolaise de Moxico, frontalière de la province congolaise du Katanga. On y retrouve, pêle-mêle, autant les réfugiés de la vague de 1961 – quand naissaient les différents mouvements de libération angolais – que ceux des dernières migrations de 1984, avec la guerre de Jonas Savimbi, le leader de l’Union pour l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA) contre le gouvernement central établi à Luanda.
Enthousiasme
C’est justement la fin de la rébellion de Jonas Savimbi qui a redonné l’espoir aux réfugiés angolais, établis en RDC, de pouvoir regagner, enfin, leur pays. » Il faut croire que les réfugiés angolais sont très heureux de regagner leur pays quand on considère l’enthousiasme suscité par le groupe qui nous avait accompagné en Angola, à son retour à Kisenge, quand nous sommes allés reconnaître les zones de provenance des réfugiés que nous hébergeons « , explique William Mututa, le délégué du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) pour la province du Katanga.
» A la suite de la mort de Jonas Savimbi, ajoute-t-il, nous avions constaté de nombreux départs clandestins des réfugiés angolais vers l’autre côté de la frontière et avons décidé d’aller nous rendre compte de l’état exact de la situation dans les régions d’origines des réfugiés. Depuis une année, près de 10 000 personnes ont quitté Kisenge pour la province de Moxico, en Angola. C’est ainsi que le 20 juin 2003, nous procéderons officiellement au retour progressif des réfugiés ».
» Vivement chez nous, en Angola ! «
Tous les réfugiés semblent s’être passés le mot. Hommes, femmes et enfants ont tous la même réponse devant les journalistes : » Vivement chez nous, en Angola ! « . L’Angola est devenu un pays mythique pour de nombreux réfugiés dont la plupart, nés au Congo, ne connaissent qu’à travers les évocations sentimentales des parents. C’est le cas de Samuel Mahamba, le représentant des réfugiés du site de Kisenge qui, avec une pointe d’émotion dans la voix, parle de son enthousiasme à regagner cette terre promise: » L’Angola a été ravagée par plusieurs guerres et il a besoin de tous ses enfants pour réhabiliter ses infrastructures ».
Samuel Mahamba fait partie de ces réfugiés arrivés très jeunes en RDC, en 1984. Il a effectué toutes ses études au Congo et regrette un peu de quitter ce pays qui l’a façonné : « Nous avons grandi ici, beaucoup d’Angolais sont nés ici. Nous avons étudié ici. Mais nous restons Angolais et nous devons repartir. Nous sommes très reconnaissants envers le gouvernement congolais ». Lundi 2 juin 2003, devant les autorités officielles congolaises, ils n’ont pas pu chanter l’hymne national de l’Angola juste après celui de la RDC comme l’avait prévu le protocole. Ils ne le connaissent plus.
Ils faisaient partie du paysage
L’enthousiasme des parents à regagner l’Angola ne fait pas que des heureux. Il y a d’abord les élèves du secondaire qui regrettent d’abandonner leurs études au Congo au risque de connaître des perturbations au contact du portugais, en Angola. Alves Mulonda aurait bien voulu d’abord terminer ses études secondaires : » Il ne me reste plus qu’une année et je risque de tout perdre en rentrant en Angola. Ici, j’étudie en français tandis qu’en Angola, il me faudra, d’abord, apprendre le portugais pour continuer les études. Mais comme les parents en ont décidé ainsi, je serai obligé de quitter le Congo « .
Certains parents, plus soucieux de l’avenir de leurs enfants ont tout de même décidé de rester sur place, le temps pour leur progéniture, déjà très avancée dans leur cursus scolaire, de terminer normalement leur scolarité. Il y aussi, les populations autochtones de Kisenge. Le départ des réfugiés risque de perturber certains équilibres sociaux, de créer des déchirements entre familles et provoquer du chômage avec le départ des organisations humanitaires, dont la présence ne s’expliquerait plus après le retour des réfugiés.
60% des effectifs scolaires
« Non seulement les réfugiés angolais contribuaient au développement de la région, spécialement dans l’agriculture et l’élevage, regrette Mme Berthe Nawej, enseignante, mais aussi par le biais de toutes les infrastructures mises en place du fait de leur présence ici : les écoles – où leurs enfants constituent 60% de effectifs, les formations médicales dont bénéficient aussi les Congolais, sans parler des emplois que génèrent, pour beaucoup d’entre eux, les activités des organisations humanitaires. Kisenge risque de ressembler à une région abandonnée. «