La femme mandingue est sacrée


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Siriman Kouyaté

Au 13ème siècle, dans l’actuel Mali, Soundiata Keita a initié la Charte de Kurukan-Fouga, qui fait notamment de la femme un être sacré. Le souverain a ainsi récompensé celles qui ont grandement contribué à sa victoire sur un autre roi mandingue. Toujours appliquée aujourd’hui, cette Charte, ainsi que son histoire, est transmise de génération en génération par des dyélis (dépositaire des traditions en malinké). Le dyéli Guinéen Siriman Kouyaté la raconte.

« N’offensez jamais les femmes, ce sont nos mères. » Ce concept émane du roi mandingue Soundiata Keita qui, il y a plus de sept siècles, dans l’actuel Mali, a initié la Charte de Kurukan-Fuga (cf fin bas de l’article). Une Charte qui rend notamment hommage aux femmes qui l’avaient appuyé lorsqu’il était en guerre. Avec le temps, certains éléments de ces vestiges oraux, précurseurs en matière des droits de la femme, se sont perdus. Mais leur essence est toujours vivante grâce aux dyélis (dépositaire des traditions en malinké), qui transmettent cet héritage de génération en génération. Le dyéli guinéen Siriman Kouyaté, dont la famille fait vivre le récit depuis des siècles, nous raconte cette histoire.

« A la mort du père de Soundiata Keita, c’est Mansa Dankaran Touman, le fils aîné du roi défunt, qui a repris le trône. Il a chassé Soundiata par jalousie, qui s’est réfugié en exil dans l’actuelle Mauritanie. Mansa Dankaran Touman n’a pas pu contenir les velléités de son voisin Soumaoro Kanté, qui voulait annexer le Mandé, son territoire. Ce dernier est finalement parvenu à ses fins et le monarque déchu a pris la fuite. Dix ans plus tard, la population, excédée par les souffrances que lui infligeait Soumaoro, est partie à la recherche de Soundiata, qu’elle a trouvé et ramené. Il s’est alors engagé dans une guerre pour reconquérir le Mandé. Pour ce faire, il s’est allié à onze autres royaumes.

Après quatre batailles infructueuses, Soundiata Keita a livré avec succès, en 1235, son dernier combat, celui de Kirina. Il est devenu roi. Pour tirer les leçons des erreurs du passé et faire que les atrocités de la guerre ne se reproduisent plus, il a organisé un grand rassemblement dans le village de Kangaba, au sud de Bamako. Lors de cette assemblée, Soundiata et ses alliés ont édicté des normes de conduite, qui ont donné lieu à 44 grandes décisions. Elles stipulaient notamment que chaque individu a droit à la vie et au respect de son intégrité physique et que l’éducation des enfants incombe à tous.

Femmes au gouvernement

Il y avait des décisions très novatrices en ce qui concerne les femmes, une façon pour le roi de les remercier d’avoir participé à la guerre. En effet, certaines avaient fait appel à des fétiches pour rendre les partisans de Soundiata invulnérables aux flèches et aux autres armes. C’est ainsi que le texte a conclu : il est interdit d’offenser les femmes car elles sont nos mères, il est interdit aussi de lever la main sur une femme sauf si la médiation auprès du mari s’est révélée infructueuse (ce qui est rare). En plus de leurs occupations quotidiennes, les femmes doivent être associées à tous les grands cercles de décision. Ce qui explique que chacune des douze provinces de la fédération mandingue comptait deux ou trois ministres femmes.

Par ailleurs, la Charte interdit le mariage des filles non-pubères et la dot est devenue moins importante (un bœuf pour la femme et un pour chacun de ses parents) pour faciliter les unions. Aujourd’hui, 80% de cette Charte sont encore respectés par les Mandingues. Elle fait un peu office de constitution interne pour cette communauté. Mais avec le temps, il y a des déperditions lors de la transmission du message. A cause de défaillances de mémoire et de la difficulté de trouver des disciples en raison de l’exode rural. Et puis l’école ne relaie pas ces histoires. C’est pourquoi la Charte a été reconstituée en 1998 à Kankan (Guinée, avec le concours de la Francophonie, ndlr), lors d’un atelier regroupant des communicateurs traditionnels et modernes des radios rurales ainsi que des chercheurs maliens, burkinabés, sénégalais, guinéens et nigériens. Car ils sont les seuls, avec les dyélis, à pouvoir transmettre un tel héritage. »

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