Le rap fait une entrée timide en Côte d’Ivoire. Considéré comme musique de riches, il n’arrive pas à trouver son public. Les Ivoiriens lui préfèrent le Mapouka et le Zouglou. Enquête.
Importé d’Europe et des Etats-Unis, le Hip-Hop tente ça et là de trouver ses marques en Afrique. En Côte d’Ivoire, la greffe prend difficilement. Et le rap, emblème musical du mouvement, jalouse la popularité du Mapouka et plus encore du Zouglou, des courants 100% ivoiriens, mieux enracinés dans la culture nationale. Paradoxalement considéré comme une musique de riches, le rap peine à se faire une place au soleil.
Le rap n’est pas une musique de rue. Pour Tonga Behi, le rédacteur en chef du tabloïd » Top Visage « , le rap n’a pas la légitimité, comme en Occident, d’une musique de ghetto. Il s’agit plutôt d’un mouvement » pour les enfants de gros bonnets, des quartiers riches des Deux plateaux et de Cocody « . Même analyse pour Michel Reynaud, le directeur de publication d’Abidjan 7 jours. » Le rap n’est pas un phénomène de société. C’est presque une musique destinée à une élite « .
Pas d’accord, répondent unanimes les membres du groupe M.A.M. Si Mad, As et Muss, reconnaissent que le mouvement Hip-hop a été impulsé dans les quartiers riches, le rap dépasse aujourd’hui ce clivage.
Les satellites, pèlerins du rap en Afrique
Tout comme Tonga Behi, ils pensent certes que le rap est arrivé en Côte d’Ivoire grâce aux chaînes satellites. Et, tous les Ivoiriens ne possèdent pas une parabole. » Au début, le rap n’était accessible qu’à une minorité. Comme partout en Afrique, il s’est d’abord fait connaître chez ceux qui pouvaient avoir des connexions média avec l’étranger, notamment avec le satellite. »
» Mais maintenant ce n’est plus le cas, explique Muss, il n’y a qu’à comparer le nombre de groupes dans les quartiers riches et ceux dans les quartiers pauvres « . » Les gars de R.A.S (l’un des plus anciens et des plus populaires groupes rap du pays, Ndlr) viennent d’ailleurs tous de la rue « , ajoute As qui refuse toutefois l’étiquette de ghetto qui colle ailleurs à l’image du rap.
Baba Cool (ou Coul, diminutif de Coulibaly), animateur de Maxximum, l’émission rap référence de la Radio Télévision ivoirienne sur la chaîne de télé La Première, partage la même analyse. » Au départ, le rap venait plutôt des quartiers huppés, plus maintenant. Et avec l’arrivée depuis deux ans de la FM dans le pays, les radios de proximité se multiplient et véhiculent partout le rap « .
» Le rap n’est pas vraiment un phénomène de société « , estiment Tonga Behi et Michel Reynaud. Pour le premier : » il n’y a pas de mouvement national dans le pays » et pour le second : » il n’existe pas une vraie âme hip-hop ivoirienne « . Tous deux observent une stagnation du rap sur le plan national, éclipsé par le raz de marée Zouglou et Mapouka, deux courants musicaux du cru.
De faibles ventes
Le rap ne vend pas. Le constat est unanime. Certains, comme le rédacteur en chef de Top Visage, y voient le reflet de la morosité d’un mouvement en crise de reconnaissance, d’autres, comme Baba Cool, une simple question de pouvoir d’achat, avec des jeunes qui ne disposent pas de budget, à l’inverse des adultes, pour acheter des disques.
» Il y a une forte concurrence avec le Zouglou et le Mapouka. Comme ces deux musiques sont plus populaires que le rap, et que les budgets ne sont pas extensibles, il est normal que nous vendions peu « , explique Mad.
» Et les chiffres, pour le rap comme pour toutes les musiques, sont largement tronqués, ajoute Muss. » Il y a longtemps eu un manque total de contrôle sur les ventes. Les maisons de duplication de K7 minimisaient les ventes réelles pour éviter de payer les droits d’auteur aux artistes « .
Du rap oui mais pas ivoirien
Mais le problème du rap ivoirien semble ailleurs. A la différence du Sénégal, le rap bénéficie d’une réelle couverture médiatique en Côte d’Ivoire. Mais au sein du rap, encore faut-il distinguer la production locale et les artistes internationaux.
Dans son émission hebdomadaire d’une heure et quart, Baba cool avoue lui-même faire la part belle au rap étranger, n’accordant que 10 minutes d’antenne aux groupes locaux. Si des artistes comme Kajeem, Almighty ou Stézo ont souvent droit de cité dans les grands médias, il n’en est pas de même des autres.
» Un artiste local ne peut pas vivre de son art en Côte d’Ivoire « , analyse M. Cornuel, directeur général de Radio Nostalgie. » Pour s’imposer dans le pays, il faut qu’il ait une carrière internationale, sinon panafricaine. Il faut qu’il soit déjà connu en Europe, au Burkina, au Sénégal ou ailleurs pour réussir « .
Cette frilosité des médias vis-à-vis des rappeurs locaux, en plus de la concurrence des deux autres grands courants musicaux, explique la petite santé du rap ivoirien. Non pas une musique de ghetto, mais plutôt ghettoïsée à son tour par une vision très restrictive d’un mouvement qui vient et devrait rester issu de l’étranger.