La démarche n’est pas révolutionnaire, mais elle sans conteste inédite. Depuis janvier 2006, l’Institut des diasporas noires francophones (IDNF) s’est fixé pour objectif de stimuler la recherche scientifique sur les populations d’ascendance africaine en France. Retour sur les raisons qui justifient la création d’un tel institut, dont l’historien François Durpaire est en partie à l’origine.
Propos recueillis par Falila Gbadamassi
L’Institut des diasporas noires francophones (IDNF), crée en janvier 2006, réunit des chercheurs en sciences sociales dont le champ de recherche concerne les populations africaines et caribéennes. L’historien François Durpaire qui vient de publier, France blanche, colère noire est l’un de ses cofondateurs.
Afrik.com : Quel est l’objectif de l’Institut des Diasporas Noires Francophones ?
François Durpaire : Aujourd’hui, il est impératif de réintégrer dans notre mémoire nationale les populations et les territoires considérés jadis comme subalternes. Le débat autour de l’histoire de l’esclavage a révélé les lacunes de la recherche. Il n’y a aucun département consacré aux études caribéennes dans les universités françaises. Ce que les Britanniques appellent Caribbean Studies. Il n’y a aucun groupe de recherche qui se consacre à l’étude de ces minorités, en vertu du fait qu’il s’agirait d’une importation en France de problématiques dites « anglo-saxonnes ». Un élève français d’origine malienne ne doit pas avoir à choisir entre l’histoire de l’Afrique, d’où viennent ses parents, et une histoire de France « purement » eurocentrée. L’histoire de l’humanité est faite d’échanges et de relations. Pourquoi considérer comme inacceptable qu’un jeune Antillais refuse de faire sienne l’histoire des cathédrales et ne pas s’interroger sur l’incapacité pour des Français blancs d’intégrer l’histoire des champs de canne dans leurs manuels scolaires ? Le territoire français appartient à tous les Français, quelles que soient leurs origines.
Afrik.com : Pourquoi « diasporas noires francophones » ? Ont-elles une spécificité comparée à celles qui sont anglophones ?
François Durpaire : La première est qu’elles ont en partage le français. Mais l’élément le plus significatif est que, comparé au monde anglophone, la recherche sur cette thématique est moins importante et quelque peu éparse. Nous souhaitons avec l’IDNF, notamment en France, remédier à cette situation en stimulant et en structurant cette recherche.
Afrik.com : Qui sont les membres de cet institut ?
François Durpaire : L’institut regroupe de jeunes docteurs ou doctorants en sciences humaines qui travaillent dans différentes universités. Sur le plan de la recherche, il s’agit de la constitution d’un réseau de chercheurs autour du thème de la diversité. Pour ce qui est de l’enseignement, il s’agit de pallier l’absence d’information concernant les populations caribéennes et africaines. De l’école au lycée, lorsque l’on fait énumérer aux élèves les différentes civilisations humaines – européenne, chinoise, indienne… l’Afrique, ainsi que les Caraïbes, sont totalement occultées. Même avec une carte du monde devant les yeux, les élèves ne parviennent pas à associer ces aires géographiques à la notion d’histoire et de culture. Et pourtant, nombre d’entre eux, tout en étant de nationalité française, ont une histoire familiale qui les rattache à ces espaces.
Afrik.com : Quelles sont les thématiques que vous abordez ?
François Durpaire : Elles sont au nombre de trois : les études caribéennes, la question des minorités noires en France, la place des migrants africains et caribéens en Amérique du Nord. Ces migrants font le dynamisme de la francophonie dans ces espaces à majorité anglophone. Qui aurait pu penser il y a quelques années que le français serait un jour parlé au fin fond du Midwest, loin des circuits de la francophonie institutionnelle, dans des épiceries et restaurants sénégalais ou au sein des soirées guinéennes ?
Afrik.com : La réponse à la question est évidente, mais je vous la pose. Quel est l’intérêt d’une telle structure aujourd’hui en France ?
François Durpaire : Je viens de rentrer du Canada où l’on se dispute entre l’Ontario et le Québec pour attirer à soi les immigrants. Par conséquent, le discours français anti-migratoire apparaît encore plus anachronique. Alain Juppé disait récemment que le Canada était un pays d’ « immigration choisie ». Certes, mais c’est surtout un pays qui choisit clairement l’immigration comme projet de société et qui ne manque jamais une occasion de le rappeler. L’actuelle Gouverneure Générale est Michaëlle Jean, femme noire d’origine haïtienne. Le Canada sait que les migrants sont une chance pour le pays, parce qu’ils sont les mieux intégrés à la globalisation. A l’inverse, la France est dans une crise de schizophrénie. Il est aisé de remarquer que ceux qui portent le discours – et la politique – de fermeture ont aujourd’hui des parents hongrois, italiens ou polonais.
Afrik.com : Et comment comptez-vous vulgariser votre action, notamment auprès des politiques et des acteurs de la société civile ?
François Durpaire : Les médecins font de la recherche, non pas pour la recherche en elle-même, mais pour soigner. C’est également le cas en sciences humaines. Nos travaux de recherche permettront de donner à ceux qui s’intéressent à la question noire en France, donc des politiques ou des acteurs de la société civile, des outils d’analyse. Internet constitue dans cette perspective un outil privilégié, d’autant plus qu’il est par essence le medium des diasporas. Un large public aura ainsi accès à tous les travaux de recherche que nous comptons mettre en ligne. Tout comme au cyber-colloque à venir destiné bien évidemment aux chercheurs, mais ouvert à tous.
Le site de l’Institut