Des Camerounais et des Français d’origine africaine se sont rassemblés, mardi, près de l’Assemblée Nationale à Paris pour dénoncer la venue de Paul Biya, qui dirige le Cameroun sans partage depuis 1982. Une protestation entendue par quelques députés français venus à la rencontre du rassemblement. Reportage.
« Biya assassin, Sarkozy complice » ou encore « Sarkozy, l’ami des dictateurs africains ». Voici quelques-uns des messages inscrits sur les pancartes des manifestants, mardi 21 juillet, près de l’Assemblée Nationale à Paris. Sur la petite place du président Edouard Herriot, une quarantaine de personnes – des Camerounais, mais pas seulement – s’étaient massés là pour protester contre l’accueil réservé par la France au président camerounais Paul Biya. « C’est la même politique dictatoriale critiquée dans plusieurs pays d’Afrique. J’ai trouvé important de venir ici pour les soutenir », explique Claudine, professeur à la retraite d’origine togolaise. Selon le collectif des organisations démocratiques et patriotiques de la diaspora camerounaise (Code) qui a lancé l’appel à ce rassemblement, les Français ignorent souvent la répression qui sévit dans ce pays d’Afrique centrale.
« Les Français sont très peu informés sur la répression qui existe dans ce pays, mais ce n’est pas mon cas », assure Martine, 61 ans, retraitée et membre de l’association Survie. C’est justement pour informer que Moïse Essoh, secrétaire exécutif du Collectif des organisations démocratiques et patriotiques de la diaspora camerounaise (Code) s’époumone au mégaphone devant ses pairs. « En temps que chef d’Etat, il est tout naturel que Biya soit reçu. Par contre, nous voulons informer les Français qu’ils reçoivent un dictateur », explique t-il, en aparté. « Nous voulons expliquer aujourd’hui à tous qui est vraiment ce président, car souvent mes compatriotes craignent de s’exprimer par peur des représailles », ajoute le responsable du Code.
Un appel entendu par des politiques français
Le rassemblement est finalement assez discret, mais très efficace par le choix du lieu. Près du café-salon de thé Le Bourbon, Paul Dhaille, ancien député et élu local de Seine-Maritime, passe sans s’attarder. Interrogé, il donne son sentiment sur la manifestation : « Je constate que quelque soit les gouvernements de notre pays, les relations franco-africaines n’ont jamais changé! Et la rupture que prônait Sarkozy n’était qu’un propos de campagne vite oublié », confie t-il. François Hollande va même plus loin. Interpellé dans la rue, l’ancien premier secrétaire du Parti Socialiste (PS) se rapproche de la place. Après une petite discussion, il promet de faire remonter les doléances du groupe à Jean-Marc Ayrault, président du groupe à l’Assemblée. Quelques minutes plus tard, Pierre Moscovici, député PS, leur assure à son tour de son soutien et égratigne le chef de l’Etat au passage. « Il y a une mauvaise tradition en France, celle de la Françafrique. Sarkozy a dit que cela était fini mais en réalité ça continue », estime t-il. Interrogé sur la limitation du nombre de mandat: « Ce n’est pas tant le nombre de mandats qui importe, même si je suis pour, que le fait que les élections soient libres et transparentes. » Pas sûr que Paul Biya l’entende de cette oreille.
La gouvernance selon Biya
L’actuel doyen de la Françafrique, après la disparition du gabonais Omar Bongo, poursuit sa visite officielle en France débutée ce mardi. La deuxième depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. L’homme fort de Yaoundé a 76 ans, dont 27 à la tête de l’Etat. Ancien premier ministre, Paul Biya a pris le pouvoir en 1982 suite à la démission du président Ahidjo. Il a mené dès lors le pays sans partage.
Fin 2007, il a modifié la constitution afin d’ôter le verrou qui limite le nombre de mandats présidentiels. En Février 2008 au Cameroun, les manifestations protestant contre cette modification et les émeutes de la faim sont réprimées avec violence. Les autorités du pays font état d’un bilan de 40 morts tandis que l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH) estime que le nombre de victimes s’élève à au moins 139 personnes.
Eric Golf Kouatchou, journaliste camerounais, a couvert ces marches. Lors des événements, l’enregistrement de ce caméraman de Canal 2 a été détruit par des forces de l’ordre, alors qu’il filmait la police anti-émeute réprimant un attroupement. « Au Cameroun, on ne peut pas s’exprimer librement mais pour venir ici, c’est un policier qui m’a indiqué le chemin. C’est un signe de liberté qui n’existe pas au pays », raconte le jeune homme de 25 ans. Pour l’heure, le collectif tente de faire entendre son message aux députés français.
Une petite délégation s’éloigne vers l’Assemblée. Rendez-vous raté – la faute à la loi Hadopi actuellement à l’étude à l’Assemblée, selon un membre de la sécurité. Le groupe ne sera finalement reçu que le lendemain matin par trois députés socialistes et un attaché parlementaire. Le Code, lui, ne compte pas s’arrêter là. D’autres actions sont prévues, dont une manifestation devant l’hôtel Matignon, ce vendredi. Au même moment, il est prévu que le président Nicolas Sarkozy reçoive Paul Biya à l’Elysée.