Impressionnant ! Malgré le risque sanitaire, les manifestations étant de nouveau autorisées dans le pays, les Algériens de France ont battu le pavé, dimanche 5 juillet, à Paris. Ils ont démontré, une fois de plus, leur détermination à s’emparer de tous les « symboles de l’État ». Retour sur une mobilisation grandiose, un jour de fête nationale. Reportage.
La mobilisation était au beau fixe en cette date historique et symbolique qui marquait le 58ème anniversaire de l’indépendance du pays, en 1962.
Drapeaux, banderoles à la main et masques de protection sur le visage
La diaspora algérienne a marché à Paris pour fêter l’indépendance et rappeler que le mouvement de protestation populaire lancé en février 2019 se poursuit malgré la pandémie de COVID-19 qui sévit partout à travers le monde.
Par la même occasion, la diaspora a tenu à rendre un hommage aux martyrs algériens qui se sont battus contre le colonialisme français, pour que « l’Algérie d’aujourd’hui vive en paix et dans un pays des institutions ». Les organisateurs de la marche précisent, par ailleurs, que l’objectif de cette manifestation est de « rappeler la détermination et l’engagement de la diaspora en faveur de la révolution du sourire au côté de leurs compatriotes en Algérie et d’affirmer son soutien inconditionnel aux détenus politiques et d’opinion ainsi qu’aux journalistes emprisonnés ».
Par ailleurs, la marche qui a débuté Place République pour se diriger Place de la Bastille, était plus revendicative. Ils étaient des milliers pour « dénoncer le pouvoir en place et réclamer une Algérie libre et démocratique ainsi que la ré-appropriation de l’indépendance confisquée ».
Venus de toute la région parisienne, les Algériens qui, à chaque occasion, ne cesse d’impressionner le monde entier par leur civisme et leur maturité politique, ont donné une réponse cinglante au chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune et à tous les tenants du pouvoir en place : le peuple algérien reste uni et le Hirak n’est pas mort.
Sous un ciel de grisaille, de loin, les voix entonnant des slogans hostiles au pouvoir, retentissent sur le parcours, en passant à coté des passants en admiration. On constate sur place qu’une mère de famille, du haut de son balcon, danse sous les youyous des femmes algériennes, qui ont pris part à cette marche grandiose.
Les participants ont repris les slogans du Hirak, ce mouvement de contestation pacifique qui a poussé le président Abdelaziz Bouteflika à la démission en avril 2019, alors qu’il prétendait à un cinquième mandat après une vingtaine d’années au pouvoir.
Depuis décembre dernier, un nouveau président est en place. Issu d’une élection boycottée et considérée par les protestataires comme « illégitime », ces derniers voient en Abdelmadjid Tebboune « l’héritier du régime de Bouteflika, au sein duquel il a évolué comme ministre et chef du gouvernement ».
Une date symbolique et historique !
Cette marche citoyenne, qui coïncide avec le 58ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie du colonialisme français, symbolise, selon les organisateurs, « l’engagement de l’ensemble des collectifs et organisations de la diaspora algérienne qui militent pour la consécration d’un État de droit et d’une véritable démocratie en Algérie ».
« Pour un changement radical »
Sans ambiguïté aucune, le militant Essaid Aknine, qui ne manque aucun rendez-vous, décide de marcher auprès de ses compatriotes de la diaspora. Abordé dans la foule, il nous livre un message claire : « il faut que le régime militaire cesse en Algérie. Le peuple algérien sait d’où il vient. Ses objectifs sont clairs et il va les atteindre ». Et d’ajouter : « Tous les sacrifices qu’on avait fait, en tant que militants d’abord, ce n’est pas pour accepter que le régime change de peau, mais on veut un changement radical, basé sur des fondements démocratiques, où le peuple algérien peut jouir des droits les plus élémentaires, sa citoyenneté, entre autres ».
« Bien que la date du 5 juillet soit symbolique et qu’elle marque l’indépendance territoriale de notre pays », dit-il, « nous faisons un serment que nous allons continuer notre combat jusqu’à l’indépendance de notre peuple de ce pouvoir illégitime », car, selon lui, « cette indépendance est inachevée et confisquée depuis 1962 ». « Nous avons une responsabilité immense, nous devons être à la hauteur de nos compatriotes qui nous regardent de l’intérieur du pays. Nous avons un seul cap : Les généraux à la poubelle et l’Algérie retrouve son indépendance. Qu’ils partent tous ! », conclut-il.
Seul le peuple est maître de son destin !
« Les lignes doivent bouger. La seule voie possible c’est la voix du peuple qui réclame un vrai processus démocratique », nous dit la mère de deux enfants, abordée au milieu de la foule.
Pour Anis Alkama, jeune militant, la marche d’aujourd’hui est une véritable réussite et est remplie de messages forts aux tenants du pouvoir en place qui sont illégitimes et qui ne drainent plus de partisans pour supporter « la thèse de la continuité ».
« Je n’ai jamais vu une marche d’Algériens aussi forte, imposante et belle que celle d’aujourd’hui. La marche d’aujourd’hui est un message clair et fort au pouvoir en place et au monde entier qu’on est un peuple uni et indivisible », estime ce jeune militant.
Soeur d’un combattant tombé au champs d’honneur à l’âge de 19 ans pendant la guerre de libération algérienne et fille d’un militant torturé jusqu’à la mort en 1945, Sanhadja Akrouf, présidente du collectif Agir pour le Changement et la Démocratie en Algérie (ACDA), rappelle que le pouvoir veut s’emparer de toutes les dates symboliques.
« Notre indépendance est inachevée », dit-elle. La présidente d’ACDA s’interroge, en effet, sur la grâce présidentielle dont ont bénéficié des détenus politiques alors que les figures emblématiques du Hirak sont maintenues en liberté provisoire. Ce même jour, rappelle-t-on, des arrestations d’activistes pro-Hirak ont été constatées. « La grâce présidentielle ! C’est de la poudre aux yeux », martèle-t-elle.
Et d’enchaîner : « la date du 5 juillet est très importante pour nous, Algériennes et Algériens. Nos aïeux ont chassés le colonialisme français et nous, peuple algérien, chasserons cette dictature au pouvoir ».
Détermination !
Depuis plus de 16 mois de mobilisation, les algériens de l’hexagone, comme leurs compatriotes, ont montré de manière extraordinaire et inédite qu’ils restaient mobilisés pour l’Algérie.
« Vous savez, au début du Hirak, quand nous avions démarré l’organisation des rassemblements Place de la République, nous pensions que nous avions atteint le pic de la mobilisation avec plus de 30 000 manifestants, mais là, ce qui s’est passé aujourd’hui est juste grandiose et historique », se souvient Zoheir Rouis, militant et membre du parti Jil Jadid, section Europe, avant d’enchaîner : « La diaspora était belle à voir, avec le sourire sur tous les visages, la fierté de défiler pour l’Algérie et la détermination à participer à la naissance d’une nouvelle Algérie. Il y avait des femmes, des enfants, des personnes âgées, toutes les générations unies pour un seul objectif en cette date symbolique : Parachever l’œuvre de ceux qui ont arraché l’indépendance par l’établissement d’un État de droit ».
Pour Abdou Bendjoudi, militant et président du mouvement Action Citoyenne pour l’Algérie (ACA), « le 5 juillet, est une date très symbolique pour nous Algériennes et Algériens. C’est un signe très fort de venir participer aujourd’hui Place de la République à Paris pour revendiquer sa liberté d’abord historique, mais aussi, celle confisquée par la police politique, depuis 1962 ».
« Le gouvernement devrait savoir », selon-lui, « qu’il n’y aucune issue pour eux à cette crise politique qu’à travers un processus démocratique réel et devrait accepter de négocier son départ avec les forces vives de la Nation. On peut faire du mandat de l’actuel président une période de transition pacifique vers un système politique totalement démocratique ». Cette transition, enchaîne-t-il, se fera bien entendu, par les acteurs du Hirak.
Et d’ajouter : « la diaspora aujourd’hui prend, à sa charge, la révolution pacifique et donne un nouveau souffle pour le Hirak. Nous disons au régime qu’il n’est pas question de lâcher, nous allons continuer et augmenter la pression dans les capitales européennes et qu’ils sachent que nos compatriotes à l’intérieur du pays ne sont pas seuls ». Il reste, en effet, fixé sur l’objectif suprême du Hirak : l’avenir de l’Algérie d’abord dans toute sa diversité.
« l’union, l’espoir et la détermination », voilà, selon lui, le catalyseur qui anime l’esprit du peuple algérien.