Après le brouhaha de l’exaltation trépidante des uns et les protestations véhémentes des autres qui ont suivi l’arrestation et la détention de Monsieur Laurent Koudou Gbagbo, il y a lieu d’examiner les arguments mis en avant pour justifier, ou pour contester la déchéance du Chef de l’Etat en fonction en Côte d’Ivoire avant le 11 avril 2011.
Du strict point de vue du droit international, du droit africain et du droit ivoirien, les décisions d’attaquer , d’arrêter et de détenir M. Laurent Gbagbo posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Pour tenter de se dégager de la gangue partisane qui expose à la légitimation des positions manichéennes que deux camps antagoniques promeuvent, il est nécessaire de s’abreuver aux meilleures des sources, c’est-à-dire aux textes internationaux, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent la protection des droits fondamentaux, mais aussi à la Constitution de la Côte d’Ivoire du 1er août 2000 qui demeure, comme dans la plupart des Etats, la loi fondamentale qui régit le fonctionnement des pouvoirs publics dans ce pays.
Chacun connaît l’issue de l’élection présidentielle de décembre 2010 qui a vu MM. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquer tous deux la victoire, et qui a donné lieu à une « querelle des investitures » ; M. Gbagbo a prêté serment devant le Conseil constitutionnel, tandis que M. Ouattara a cru devoir se livrer à un ersatz de « prestation de serment » par courrier , au demeurant non daté, adressé au Président du Conseil constitutionnel, transmis semble-t il par huissier, mais dont les constatations ne sont pas connues, sur son éventuelle réception et donner acte par le destinataire .
Cependant, M. Alassane Ouattara voudrait –il bafouer la légalité constitutionnelle de son pays qu’il ne s’y prendrait pas autrement !
En effet, que prévoit la Constitution sur ce point ?
L’article 39 de la Constitution se lit ainsi : « Les pouvoirs du Président de la République en exercice expirent à la date de prise de fonction du Président élu, laquelle a lieu dès la prestation de serment. Dans les quarante huit heures de la proclamation définitive des résultats, le Président de la République élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en audience solennelle. (…)
Ainsi, jusqu’à l’arrestation de M. Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, la Constitution lui conférait la qualité de Président en exercice, en l’absence de prestation de serment de M. Alassane Ouattara, dans les formes solennelles qu’elle requiert.
Cette difficulté juridique rejaillit nécessairement sur la validité des actes que M. Ouattara entend poser en tant que Président de la République de Côte d’ivoire.
Est-on sûr par exemple qu’il a respecté l’article 55 de la Constitution qui prévoit que lors de son entrée en fonction le Président de la République est tenu de produire une déclaration authentique de son patrimoine devant la Cour des Comptes ?
De la légalité de l’aide française et onusienne aux FRCI
Cet imbroglio juridique pose aussi la question de la légalité de l’aide apportée aux rebelles des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, par l’Onuci et la force armée française « Licorne » pour procéder à l’arrestation, à la « mise à disposition » du Président déchu à M. Alassane Ouattara, et à sa détention depuis lors dans un lieu inconnu, justifiée officiellement par l’attente de l’ouverture d’une enquête judiciaire pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Cependant, le Président déchu, risque d’être difficile à juger au regard des faits ainsi reprochés, et peut devenir un prisonnier politique bien encombrant.
Car si la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l’Onu du 30 mars 2011, demandait le départ de M. Laurent Gbagbo, elle n’a jamais prescrit l’usage de la force armée à cet effet.
Il semble établi que certains des éléments armés de M. Gbagbo ont entre autres méfaits, pris pour cible le quartier général de l’Onuci à l’hôtel Sebroko, par des tirs de mortiers et de roquettes, attaqué un entrepôt du Haut commissariat aux réfugiés dans la ville de Guiglo, et commis l`injustifiable massacre des femmes manifestant pacifiquement à Abobo.
Il n’en demeure pas moins que l’Onuci, soutenue par la force armée Licorne, au regard du mandat délivré par la résolution 1975 du Conseil de sécurité, devait utiliser « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les civils et empêcher l’utilisation d’armes lourdes, mais certainement pas prêter main forte aux rebelles en s’attaquant, au palais présidentiel et à la résidence de M. Laurent Gbagbo, habitée par plusieurs membres de famille, membres du gouvernement, et proches collaborateurs, dont d’ailleurs les forces de défense constituées de blindés et canons anti-aériens avaient déjà été détruites.
La situation reste explosive au regard des affrontements actuels à l’arme lourde qui opposent dans le quartier d’Abobo, avec de nouveaux risques collatéraux pour les civils, les forces armées composées d’anciens rebelles FRCI, fidèles à M. Ouattara, au « Commando invisible », milice qui avait pourtant combattu aux côtés des pro-Ouattara contre les forces de défense et de sécurité de M. Laurent Gbagbo, sans que ces armes ne soient neutralisées en application de la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l’Onu…
S’agissant de la détention de M. Laurent Gbagbo, qui n’est visiblement pas la préoccupation des démocrates et défenseurs professionnels des droits de l’homme, encore très récemment si exigeants sur l’application du droit en faveur d’un des candidats, l’actuel pouvoir s’arroge des prérogatives exorbitantes, en l’absence de tout contrôle de juges, qui constitue dans les démocraties reconnues, une garantie fondamentale de la liberté individuelle, visant à éviter les dérapages, assurer le respect du droit à la sûreté, et des droits de la défense, même à ceux précisément qu’elles considèrent comme ses pires adversaires , sous peine d’encourir les mêmes griefs que ceux qu’elles leur reprochent.
L’arbitraire est la mère de tous les vices politiques, et le droit de ne pas être privé arbitrairement de sa liberté, constitue le premier droit de l’homme, à plus forte raison pour un dirigeant politique, supposé avoir perdu l’élection avec au moins 47 % des suffrages, qui représente ainsi près de la moitié des électeurs et dont il convient de rappeler, qu’il est membre de droit du Conseil constitutionnel…
La Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et la Constitution de Côte d’Ivoire prescrivent que nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement et que toute déclaration de culpabilité doit être établie à la suite d’une procédure offrant à la personne mise en cause les garanties indispensables à sa défense.
En ce qui concerne l’éventuelle extradition de M. Gbagbo pour comparution devant la Cour pénale internationale, le Président reconnu élu par la communauté internationale, qui peut nourrir quelque crainte d’avoir à y répondre des massacres commis par ses propres troupes, notamment à Duékoué courant mars 2011, où plus de 300 personnes auraient été tuées, ne se risquera pas dans cette voie qui confine à la boîte de Pandore.
De plus, l’Onuci qui en principe devait se déployer sur l’ensemble du territoire de la Côte d’ivoire, n’est pas exempte de tout reproche, en se cantonnant dans quelques villes, laissant ainsi sans surveillance les rebelles des FRCI dont il était prévisible que les actions de représailles allaient nécessairement s’abattre sur les civils d’ethnies regardées comme des ennemis.
Il existe par ailleurs des obstacles liés au principe international de non extradition des nationaux, et à la non-ratification du statut de la Cour pénale internationale par la Côte d’Ivoire qui ne fait donc pas partie intégrante du droit interne de cet Etat.
Le Conseil constitutionnel peut-il revenir de manière exceptionnelle sur les résultats proclamés en faveur de M. Gbagbo en décembre 2010 et recevoir enfin le serment solennel du Président reconnu élu ?
C’est peut-être la seule solution pour retrouver la légitimité constitutionnelle qui fait défaut à M. Alassane Ouattara , lancer un signal fort de dialogue politique, apaiser les tensions en régularisant la situation de M. Laurent Gbagbo au regard des standards internationaux, et permettre la nomination d’un gouvernement qui représente de manière significative toutes le sensibilités politiques du pays.