C’est peu dire et peu faire que de proclamer à nouveau et de rappeler avec insistance que le destin du panafricanisme se joue en cette période historique où l’air du temps est à la construction de grands ensembles supranationaux commandés par l’internationalisation de l’économie et de la politique.
L’air du temps est à la construction d’organisations intergouvernementales internationales, aux associations ou aux fédérations d’Etats-nations aux organisations internationales non-gouvernementales aux entreprises transnationales et aux réseaux de transactions économiques internationaux. Le temps des économies nationales des Etats-nationaux et des nationalismes étriqués semble révolu. La chute des blocs idéologiques qui divisaient l’Afrique en sphères d’influence et en domaines réservés des ex-puissances coloniales, la faillite des nationalismes d’Etat et des dictatures qui cèdent la place à la démocratisation des régimes et à l’émergence des sociétés civiles ouvrent la porte à la construction d’une Afrique économiquement et politiquement intégrée. La réalisation effective du projet panafricain relève-t-elle pour autant du concours des circonstances ?
Faut-il s’en remettre à la causalité matérielle ? La question cruciale que le panafricanisme soulève est alors celle-ci : par quel moyen réaliser l’unité panafricaine ? La construction de l’intégration panafricaine dépend-t-elle des mécanismes de la nécessité historique ou au contraire de la liberté de la décision volontaire et de l’impulsion d’une médiation institutionnelle adéquate ?
Le panafricanisme est une idée rationnelle destinée à une volonté politique
L’unité panafricaine est le concept rationnel d’une communauté cosmopolitique africaine. C’est une idée régulatrice pour la politique intérieure et étrangère des Etats républicains africains. Elle prescrit en tant que telle une intégration progressive des économies et des politiques en vue de la formation d’une communauté transnationale africaine. Le titre programmatique de l’ouvrage du père du panafricanisme Kwamé Nkrumah « L’Afrique doit s’unir » a par conséquent la forme d’un impératif rationnel. L’expression « l’Afrique doit s’unir » s’adresse à la volonté personnelle dont elle sollicite le consentement et la conviction subjective comme force motrice interne indispensable à l’unification économique et politique de l’Afrique. Les africains et plus précisément les hommes politiques et les décideurs sont appelés à faire du principe de l’unité panafricaine la maxime suprême de leur praxis politique. L’impératif d’unité panafricaine sollicite donc une croyance rationnelle qui doit déterminer l’action politique. Il requiert une conviction subjective de nature rationnelle qui est toujours la condition interne de possibilité pour la temporalisation d’une idée. Le panafricanisme étant une idée rationnelle, il convient alors de souligner qu’il est le contraire radical du panafricanisme idéologique de proclamation, rhétorique de pouvoir dont usent les dictatures.
En son authenticité d’unité cosmopolitique rationnelle, le panafricanisme s’exprime sous la forme d’un impératif rationnel de type pragmatique qui est destinée à se matérialiser dans une politique concrète d’émancipation économique sociale et politique. Le panafricanisme idéologique de proclamation s’exprime, quant à lui, sous la forme d’un impératif de l’habileté. Il se manifeste dans l’imprécation en tant que discours démagogique d’une politique d’asservissement et de domination. C’est le camouflage commode dont se parent bien souvent les ethno-nationalismes xénophobes africains, les oligarchies prédatrices et leurs propagandistes respectifs. Cette instrumentalisation du panafricanisme transforme le concept en un artifice de propagande réservé à une chapelle. Elle défigure son universalisme citoyen en le transformant en nationalisme. Elle corrompt en tant que telle sa fonction politique universaliste et détruit la conviction subjective de nature éthique qui permet de réaliser l’idée dans le temps.
Concept rationnel d’une communauté cosmopolitique africaine, l’unité panafricaine doit en effet, pour se concrétiser, parvenir à déterminer la praxis sous la forme d’une maxime politique grâce l’engagement subjectif de dirigeants convaincus de sa pertinence économique et politique. L’unité panafricaine est loin donc de dépendre du procès de la causalité matérielle. Malgré l’opportunité des conditions historiques actuelles, l’unification panafricaine ne peut pas être produite mécaniquement par le concours des évènements. Sa réalisation effective relève d’un acte de volonté, plus exactement de liberté. Elle en appelle à une médiation institutionnelle et subjective pragmatique dont l’histoire a largement démontré qu’elle ne saurait être ni l’Etat national autoritaire ni la méthode machiavélienne de la gouvernabilité dominée par la raison d’Etat en laquelle prime l’intérêt particulier d’un corps politique singulier au détriment de l’intérêt général d’un ensemble régional ou continental. L’on voit alors que crise du panafricanisme de la période des Indépendances s’explique plus profondément par la crise de l’intérêt général et de la volonté générale qui sévissaient dans les Etats africains postcoloniaux. L’échec du projet panafricain a été provoqué par le défaut d’une union de volontés politiques dont le bien commun continental et l’idée d’unité panafricaine auraient pu constituer la conviction subjective à partir d’un sentiment de commune appartenance. Il a été causé par une carence de régimes politiques autonomes dont l’unité cosmopolitique continentale aurait pu constituer le télos commandé par les intérêts nationaux souverains.
La démocratie citoyenne et la volonté démocratique conditions du panafricanisme
Le renouveau de l’idéal panafricain dans le cadre de la démocratisation des régimes qui suit l’effondrement des autoritarismes et des dictatures est en cela éclairant. La conviction panafricaine et la concertation politique qui rendent possible l’unité panafricaine procède de la démocratie et de la décision de personnalité démocratiques autonomes. La concertation politique dont pourrait résulter l’unification panafricaine est une concertation des volontés générales des divers Etats incarnées par des classes politiques représentatives démocratiquement élues et légitimées. Ce sont en effet ces élus qui sont chargés de négocier les compromis conciliant les intérêts particuliers des divers Etats ; compromis qui ne peuvent être concluent que si ces élus sont convaincus que la satisfaction pleine et entière des intérêts locaux dépend de l’unification politique et économique des Etats. Il en fut historiquement toujours ainsi pour les grandes unions interétatiques telles l’ALENA et le MERCOSUR et pour la communauté cosmopolitique démocratique continentale européenne que représente l’UE. La volonté démocratique et la démocratie représentative parlementaire qui la porte sont donc nécessairement la cheville ouvrière d’un bien commun continental et d’une émancipation collective qui se sont projetés originellement à partir d’une conscience d’appartenance continentale chez les pères du Panafricanisme. La concrétisation de l’unité panafricaine cadre approprié de l’émancipation collective continentale est dépendante de la démocratie représentative parlementaire qu’il faut donc instituer dans tous les Etats africains.
Il faut bâtir l’unité panafricaine en commençant par construire dans les Etats-nationaux des démocraties parlementaires qui permettent de représenter politiquement les intérêts sociaux. Des volontés personnelles et une volonté générale éclairées doivent y être édifiées. Il faut asseoir et garantir institutionnellement le service de l’intérêt général. Il faut, dans le même mouvement, construire les intérêts généraux régionaux africains à partir d’une synergie des intérêts nationaux fondée sur le compromis entre les intérêts nationaux divergents. Il faut donc partir des démocraties parlementaires nationales pour parvenir à l’unité cosmopolitique des démocraties citoyennes africaines. L’unification cosmopolitique des Etats démocratiques africains doit, de même, se fonder sur l’unification citoyenne des peuples. Dans les Etats multiethniques africains, cette exigence appelle à bâtir des nations citoyennes qui s’appuient sur la mémoire et sur les identités culturelles mais en les transcendant dans l’universalisme qui fonde le panafricanisme comme syncrétismes des identités et des valeurs. Dans cette phrase de Léopold Sédar Senghor qui appelait à reconstruire l’unité nationale citoyenne des peuples africains à partir de la pluralité des patries en l’asseyant sur la conviction volontariste ne retrouve-t-on pas alors le programme qui doit présider la construction de la communauté supranationale panafricaine ? « En Afrique occidentale, la Patrie, c’est le pays sérère, le pays malinké, le pays sonrhaï, le mossi, le baoulé, le fon. La nation, si elle rassemble les patries, c’est pour les transcender. Elle n’est pas, comme la Patrie, détermination naturelle, donc expression du milieu, mais volonté de construction mieux de reconstruction. Mais pour qu’elle atteigne son objet, la Nation doit animer de sa foi, par delà les patries, tous les membres, tous les individus ».
Cette parole du poète s’accorde aujourd’hui avec le réalisme pragmatique du politicien. Pour briser le néo-colonialisme qui est « basé sur le principe du morcellement des anciens territoires coloniaux en un certain nombre de petits Etats non viables qui, incapables de se développer individuellement, doivent compter sur l’ancienne puissance impériale pour assurer leur défense et même leur sécurité intérieure » , l’unique médiation rationnel qui permet aux Etat-nationaux de conquérir leur autonomie économiques et financières est nécessairement l’intégration panafricaine des économies et des politiques. La récente crise malienne aura prouvé que cette intégration doit devenir le critère du réalisme politique africain et le programme de la nouvelle génération des élites politiques africaines. Condition de possibilité incontournable d’une autonomie politique et d’un développement économique endogène, le panafricanisme s’impose désormais aux consciences et aux cœurs. L’unification panafricaine doit par conséquent devenir la profession de foi de la nouvelle communauté démocratique africaine. Le jugement politique, aussi bien déterminant que réfléchissant s’ordonne selon cet universel qui s’impose à la volonté et au sens commun.
Ce n’est plus le scepticisme mais l’enthousiasme qui accueil l’idée d’une communauté panafricaine constituée par des groupements fondés sur la proximité géographique, l’interdépendance économique et les affinités linguistique et culturelles des Etats africains. Le concept du « marché commun panafricain » préconisée en 1980 par l’OUA retrouve par là une pertinence politique et économique qui avait été occultée par le conflit des blocs idéologiques qui divisait l’Afrique. L’idée d’unité panafricaine n’est plus une utopie mais un concept politique rationnel qui peut s’incarner dans la temporalité à l’ère des unions supranationales du 21em siècle. Comme tel elle requiert une double médiation institutionnelle et subjective : la démocratie représentative parlementaire et la conviction éthique personnelle.