Au Musée de l’Homme, danses et statues se toisent et s’exposent. De la danse à la sculpture, un autre regard sur l’esthétique africaine témoigne des travaux du chercheur et danseur Alphonse Thiérou.
» Avec la danse, vous pénétrez dans le monde de la délicatesse de l’âme. « De cet art, à la fois dansé, masqué, sculpté, mais rarement écrit et théorisé, Alphonse Thiérou, infatigable chercheur et chorégraphe ivoirien, parle avec lyrisme autant qu’avec colère. Vingt ans passés à parcourir le continent africain pour analyser, comprendre, donner à voir et à lire sur la danse. Jusqu’au 20 mai, le Musée de l’Homme lui rend hommage avec l’exposition De la danse à la sculpture, un autre regard sur l’esthétique africaine.
Une quarantaine de photos récentes de danseurs dévoilent la modernité des mouvements traditionnels mais aussi l’étrange correspondance entre danse et statuaire. Les statuettes, en bois et en métal, issues des collections permanentes du Musée ne sont plus figées, dispersées hors de tout contexte vivant. Le visiteur mesure peu à peu à quel point elles ont accompagné, de tout temps, les mouvements des hommes et des femmes dans leur quotidien. Il suffit de regarder ces statues non pas de manière frontale mais de trois quart et de profil. Là, on aperçoit le doo-plé*.
Cette position fléchie et à genoux, propre aux statues africaines qui ont tant fasciné Picasso ou Malraux, est aussi la posture typique de la danse traditionnelle africaine. Dooplé, à la base des travaux d’Alphonse Thiérou. Doo et plé qui signifient respectivement mortier et pilon sont les ustensiles de cuisine communs à toutes les ménagères d’Afrique. » Le mouvement du pilon dans le mortier, explique Alphonse Thiérou, produit un son, une cadence, un rythme, donc une danse. Et la ménagère devient compositeur. Le va-et-vient du dooplé s’apparente à un spectacle de danse dans lequel un danseur interprète sa chorégraphie en même temps qu’il la crée. « En termes ésotériques, doo et ple sont la femme et l’homme.
Danser, c’est vivre
Pour un Africain, danser c’est donc vivre et donner la vie. Au plan technique, à quoi ressemble le dooplé ? » Le danseur est debout, genoux fléchis. Les pieds parallèles et à plat adhèrent fermement au sol et sont écartés l’un l’autre d’une longueur égale à la largeur des épaules. Le corps détaché, le regard fixe l’horizon. « Autour de ce mouvement de base dirigé vers la terre, s’articulent neuf autres postures communes qui se retrouvent dans toutes les régions d’Afrique. Et aux Occidentaux qui pensent que la danse africaine n’est que répétition, il rétorque : » La répétition n’a pour but que d’exciter le goût pour sonder les profondeurs de l’âme. Le coeur de la danse se nourrit d’improvisations. «
Thiérou s’insurge aussi contre ce cliché aussi vil que répandu qui veut que les Africains aient » la danse dans le sang » ou » le rythme dans la peau » . Et contre l’appellation ‘danse ethnique’. Non, la danse traditionnelle africaine n’est pas une histoire de chromosomes. Elle s’apprend, s’infiltre dans tous les interstices de la vie quotidienne et cérémonielle. D’où la nécessité d’une création chorégraphique qui libère la danse traditionnelle de son immobilisme, de son ghetto d’exotisme et de fétichisme.
Expression même de la démocratie, la culture chorégraphique, selon le chercheur, doit s’intégrer dans un développement économique, fût-il défavorable. » Pour quoi faire ? » lui assènent ses détracteurs, « alors que le tribalisme ensanglante l’Afrique, et que la crise économique la déchire. » » Peu m’importe la danse pour la danse, leur répond Alphonse Thiérou. Seul compte le support qu’elle constitue pour porter l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. «
Et pour cela, la danse africaine doit s’enseigner, s’écrire, devenir une danse plus savante. Au grand dam de ceux qui voudraient la laisser dans l’oralité ou dans l’Afrique qui rime avec pauvreté et assistance. A ce titre, le Musée de l’Homme, en choisissant d’exposer dooplé et statues, donne enfin à la danse africaine sa dimension d’art à part entière.
* Doo et plé :Termes du langage sacré des glae (pluriel de masque) du peuple Wêon de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Alphonse Thiérou a choisi cette langue des masques de sagesse parce qu’elle est divine et donc, par définition, n’est la propriété de personne. Elle ne lèse aucun pays, aucune tribu, puisqu’elle appartient à la mémoire collective.
Vient de paraître :
Doople, loi éternelle de la danse africaine – Troisième édition augmentée – Editions Maisonneuve & Larose
A paraître :
Si la danse bouge, l’Afrique bougera – Editions Maisonneuve & Larose
Centre de ressources, de recherche et de pédagogie pour la création africaine :