Après les 4,7% de l’année dernière, la croissance économique du Maroc en 2016 devrait connaître son plus faible niveau depuis la fin des années 90. Et pour cause, le PIB ralentit sa progression. Selon les estimations du HCP, après avoir augmenté de 1,7% au premier trimestre, il n’a progressé que de +1,4% au deuxième, et il est prévu qu’il n’avancerait que de +1,2% au troisième. Ce constat confirme la fameuse dépendance de la croissance marocaine au secteur agricole. Une dépendance servant d’alibi pour ne pas entreprendre les réformes qui s’imposent dans ce pays.
D’abord, sur le plan politique, cette dépendance est exploitée par les différents gouvernements qui se sont succédés. Quand ça va mal, les politiques se dédouanent de leur responsabilité, puisque c’est la faute à la pluie. Quand ça va bien, ils se mettent en avant pour s’approprier tous les mérites. A titre d’exemple, quand en 2009, juste après la crise financière mondiale, le Maroc a enregistré une croissance de 4,2%, le gouvernement Abass El Fassi s’en est gargarisé. Or, tout le mérite revenait uniquement à une campagne agricole record qui a permis une croissance de 30% du PIB agricole, puisque le PIB non agricole n’a progressé lui que de 0,8%. De même, il ne sera pas étonnant d’entendre le gouvernement Benkirane se victimiser et mettre tout sur le compte du repli des activités agricoles puisque la croissance prévue pour cette année ne devrait pas dépasser 1,5%.
Sur le plan économique, on parle tellement de la dépendance de la croissance à l’agriculture au point que l’on va finir par faire croire aux Marocains que c’est uniquement de la volonté divine et que l’agriculture est le problème en soi. Or, on oublie, par abus de langage, de préciser que c’est la non adéquation du modèle agricole au Maroc qui pose problème. En effet, quand vous savez que 85% des terres sont consacrées à la production céréalière très consommatrice d’eau, mais que 15% seulement sont irriguées, la dépendance de la production agricole à la pluviométrie devient inéluctable. Quant à l’agriculture irriguée (arboriculture fruitière, culture industrielle et fourragère, etc.), elle affiche une bonne performance. La croissance est donc instable et tirée vers le bas en raison de la domination d’une production des céréales volatile et l’insuffisance de l’irrigation, en dépit de la politique des barrages. Autrement dit, le problème réside dans le déséquilibre de la structure de la valeur ajoutée agricole, puisque l’agriculture céréalière représente près de 64% de la surface agricole utile (SAU) alors qu’elle ne contribue au PIB agricole que pour 19%, tandis que les cultures maraichères, par exemple, contribuent à hauteur de 13% en n’occupant que 3% de la SAU. Si pour le moment, les gouvernements ne peuvent pas trop contrôler la pluie, ils peuvent changer de modèle agricole et inciter à la restructuration des filières agricoles.
Cela étant, si cette volatilité de la production céréalière est transmise au reste de l’économie, c’est parce que l’agriculture assure près de l’emploi un actif sur deux. Et si l’on sait aussi que près de 18 millions de marocains sont établis dans les zones rurales, on mesure l’impact que pourrait avoir le volume d’une récolte. En effet, sans une bonne récolte agricole, pas assez de revenus à distribuer, et sans pouvoir d’achat pas de consommation. Or, la consommation des ménages est le principal moteur de la croissance avec 60% du PIB. Ainsi, une faible récolte agricole est synonyme d’une faible consommation et donc in fine d’un recul ou du moins d’un ralentissement de la croissance. D’ailleurs, à propos de la consommation des ménages, le HCP table cette année sur une progression de 2,9% seulement, soit le plus faible taux de ces 8 dernières années.
Mais, au-delà de la dépendance à l’agriculture, plus inquiétant est son faible effet d’entrainement sur les activités non-agricoles. Entre 2000 et 2001, le PIB non agricole est resté figé à 3,6%, alors que la croissance du PIB global avait grimpé de 1% à 6,3%. De même, entre 2012 et 2013, la croissance est passée de 2,7% à 4,7%, mais le PIB non agricole a baissé en passant de 4,3% à 2%. Ce déphasage entre le secteur agricole et le reste de l’économie explique le faible effet d’entrainement qui est estimé par le HCP à seulement 0,1.
C’est clairement le symptôme d’une économie faiblement intégrée, c’est-à-dire une économie où d’une part, le secteur agricole fournit peu les autres secteurs, et d’autre part, qu’il s’approvisionne peu les autres secteurs. A titre d’exemple, l’intégration de l’agriculture et de l’agro-industrie est faible puisque les agro-industries ne représentent que 5% du PIB contre plus de 15 % dans les pays plus avancés. Ainsi, même si la campagne agricole est bonne, l’effet d’entrainement sera faible et limité au sein de la même branche, car le secteur agricole est peu connecté aux autres secteurs qui profitent peu de la dynamique agricole. La croissance n’en sera que moins inclusive puisque près de la moitié de la population marocaine ne se trouvera pas là où l’essentiel de la richesse est crée.
Alors au delà du Plan Maroc Vert, dont les effets doivent être évalués, il va falloir remodeler la chaîne de valeur agricole, en œuvrant surtout à l’intégration sectorielle de l’économie marocaine, pour que la volatilité et la faiblesse de la croissance marocaine cessent d’être une fatalité. Mais pour ce faire, nos gouvernements devront cesser de se cacher derrière la volonté divine et faire enfin preuve de volonté politique.