La Damnation de Freud


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Tobie Nathan, Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, tous trois ethnopsychiatres, ont axé leurs recherches autour des troubles identitaires rencontrés par les familles migrantes. La Damnation de Freud, est une pièce de théâtre qu’ils ont écrite ensemble, une sorte de duel initiatique entre Sigmund Freud et un sorcier Yoruba, tirailleur sénégalais nommé Ekudi.

Huis Clos psychanalytique. Il s’agit d’une confrontation entre deux mondes. Celui de la psychanalyse, à ses débuts, au moment où Freud, son fondateur, en élabore les premières théories et celui d’un guérisseur Yoruba qui, grâce au pouvoir des initiés, est l’héritier d’un savoir transmis depuis la nuit des temps. Cette fiction est imaginée par le petit-fils du sorcier Ekudi (Greg Germain), qui retrouve la trace de cette thérapie dans les archives de Freud, à Washington. Chacun, à son insu, deviendra un sujet d’étude pour l’autre.

Choc des cultures et électrochoc

Progressivement, au cours d’une séance d’hypnose, au fur et à mesure qu’Ekudi retrouve la parole, Freud, lui, perd ses repères. Il ne peut admettre que les fondements mêmes de la psychanalyse soient ébranlés par un homme aux pouvoirs occultes. Pour Ekudi, le seul moyen d’avancer ou de se projeter dans l’avenir, c’est de savoir d’où l’on vient. La quête des origines est sa préoccupation majeure. Ekudi oblige Freud (Serge Feuillard) à se remettre en question et à faire exploser son vernis mental, où rien n’existe en dehors de ses théories. Toute croyance précédant l’ère de la psychanalyse n’étant pour lui qu’obscurantisme.

Comment des travaux aussi révolutionnaires pour sonder l’âme humaine, peuvent-ils rivaliser avec des cultes aussi archaïques que ceux utilisés par le guérisseur ? Vaudou, Yoruba, gri-gri, koris, amulettes se confrontent aux concepts de névrose, psychose, complexe d’OEdipe ou transfert. Puis troublé par la logique du guérisseur, Freud va remonter à ses origines judaïques, pour explorer son comportement vis-à-vis de sa fille, Anna (Sarah Bromberg). Ensuite, il fera disparaître toute trace de ces travaux, ne pouvant admettre d’avoir mis en péril les fondements mêmes de la psychanalyse, en privilégiant l’irrationnel au profit de la réflexion.

Science contre sagesse

La mise en scène de Greg Germain est claire et lisible, laissant passer des bribes d’humour dans les brèches du discours freudien. Au centre de la scène, le divan mythique de Freud recueille les secrets d’un autre monde, réceptacle d’une culture de l’oralité où le visible et l’invisible seront racontés par le tirailleur échoué là comme une pirogue, à la dérive entre deux continents. Le continent de la Science et celui de la multiplicité des croyances animistes. Il est vrai qu’il faut replacer la pièce dans le contexte de l’époque, car la notion du bon sauvage, qui sert de sujet d’étude au maître de la psychanalyse, peut paraître caricaturale. Ce qui donne la force à la mise en scène c’est le dramatique retournement de situation.

Le plus perturbé, finalement c’est Freud, car ses théories ne supportent pas la confrontation avec d’autres mondes. Tout se passe comme si son savoir était un privilège acquis pour accéder au pouvoir. Alors que pour le sorcier Yoruba, le seul pouvoir qui compte, c’est celui de la transmission. A voir.

Théâtre de L’Epée de Bois. Cartoucherie. 75012. Paris. Réservations : 0148 08 39 74. Du mercredi au samedi à 21 heures, le dimanche à 16 heures.

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