La cyber-révolution mauritanienne en marche


Lecture 6 min.
arton25000

La contestation du pouvoir enfle en Mauritanie. Depuis un an, les manifestations sont récurrentes à Nouakchott où les protestataires réclament des réformes et plus de liberté d’expression. Les jeunes, inspirés par les révolutions arabes n’hésitent désormais plus à parler de leurs revendications sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter.

La Mauritanie inspirée par la cyber-révolution arabe. Depuis un an, Nouakchott est secouée par de multiples manifestations. Les principaux acteurs de cette contestation utilisent les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, ou les blogs pour faire entendre leurs voix.

Plusieurs collectifs ont créé une page Facebook. A l’instar de la Coalition de la jeunesse du 25 février qui réclame des réformes. Selon le mauritanien Nasser Weddady, résidant aux Etats-Unis, auteur du livre Arab Spring Dreams (ouvrage de réflexion sur le monde arabophone et ces soulèvements), « en fin 2011, Facebook comptait 34 000 membres en Mauritanie. Ce chiffre est remarquable pour un pays où l’accès à internet est très faible ». D’après le jeune homme, qui s’est confié au réseau Global voice, « la contestation est le reflet d’un malaise profond de la Mauritanie, un sentiment d’impuissance qui de plus en plus se transforme en « colère électronique » et en manifestations sur le terrain. Cette culture de contestation était morte depuis deux décennies, dit-il. Aujourd’hui, on a des grèves au quotidien, dans tous les secteurs. Chaque action sociale en soi parait anecdotique de l’extérieur, mais la Mauritanie est en train de bouillir. »

Divers mouvements de contestation

La contestation mauritanienne a en effet plusieurs visages. Il n’est pas rare de voir les étudiants descendre dans les rues de Nouakchott pour réclamer de meilleures conditions de vie et l’augmentation de leurs bourses. Le plus souvent leur mobilisation est conduite par l’UNEM (union nationale des étudiants mauritaniens). Ainsi, le 29 février, les étudiants de l’école supérieure l’ISERI ont manifesté pour dénoncer les propos d’un ministre qui les a qualifiés « d’une poignée d’islamistes et d’esclaves qui veulent déstabiliser l’institution pédagogique la plus ancienne du pays.» Ils se sont confrontés aux forces de l’ordre scandant « Non à la militarisation de l’ISERI », « Non au racisme » avant d’être dispersés par du gaz lacrymogène, rapporte le site MaghrebEmmergeant.

D’autres organisations telles que le collectif « Ne Touche pas à ma nationalité » ou « Mauritanie demain » sont aussi très présentes sur Facebook. Elles militent contre le racisme à l’encontre des Noirs en Mauritanie et dénoncent le recensement que le gouvernement à mis en place depuis mai 2011. Contacté par Afrik.com, Youba Dianka, secrétaire général de l’organisation contre la violation des droits humains (OCVIDH), une des associations du collectif « Ne Touche pas à ma nationalité », estime que « le malaise principal en Mauritanie c’est la question de l’identité nationale.

Les Noirs subissent toujours des discriminations et ne sont pas représentés dans les hautes fonctions du pays ». Youba Dianka dénonce aussi le manque de liberté d’expression. La presse est partisane en Mauritanie. Soit elle est pro-gouvernementale soit pro-Maures. Elle ne prend pas en compte les revendications des Noirs et ne se soucie guère des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. »

Le web pour plus de liberté d’expression

Grâce à la toile, les internautes mauritaniens peuvent s’exprimer plus librement. Ils sont de plus en plus nombreux à relayer les informations concernant leur pays sur les réseaux sociaux. On peut, par exemple, suivre l’actualité avec le groupe privé Journal Facebook Mauritanie, qui compte plus de 10 000 membres, ou le blog Takadoumi.com (en arabe et français). Sur Twitter, on peut suivre Tahabib en français ou les deux blogueurs Amed Jiddou @Amedj85 et Mohamed Abdou @Medabdou ainsi que Dedda Cheikh Brahim @Dedda04 (principalement en arabe). Canal H est aussi un blog intéressant où plusieurs amis partagent leurs opinions sur les difficultés du pays.

Le pouvoir est loin d’être passif face à l’intérêt que portent les jeunes pour Internet. Il tente de freiner cet engouement. Selon Nasser Weddady, les autorités ont déjà essayé de mettre en place la censure sur le web durant une semaine mais sans succès. « Le pouvoir s’inquiète. Des compagnies de télécom soudanaises, marocaines, sont présentes. Il n’est pas difficile d’imaginer un scénario où le gouvernement essaierait d’acheter le savoir-faire des cybers censeurs ». Hanevy Ould Dahah, cyberactiviste mauritanien, a été interpellé et condamné à deux ans de prison à cause de son site qui dérangeait. Il est la preuve que les internautes sont surveillés.

Nasser Weddady également connu par les internautes qui suivent l’actualité du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord grâce à son compte Twitter @Weddady estime que cette évolution « du web mauritanien est clairement due aux révolutions arabes ». « Les jeunes Mauritaniens ont vu l’utilisation faite d’Internet ailleurs dans le monde arabe et essayent de se connecter, d’apprendre les techniques du cyberactivisme et de les partager. On voit de plus en plus de graphismes faits sur Photoshop, de bannières, de vidéos », explique-t-il.

Une contestation au-delà du web

Le pouvoir tente d’étouffer la contestation. Mais cette dernière ne cesse de s’amplifier. Des centaines de manifestants mauritaniens revendiquant des meilleures conditions de vie se sont lancés depuis le 1er mars dans une marche à pieds de 470 km, intitulée la Marche de la dernière chance. Elle débute de la ville de Nouadhibou à celle de Nouakchott. L’objectif est d’attirer l’attention des autorités pour qu’elles prennent en compte les difficultés des populations et qu’elles mettent en marche des réformes. D’ailleurs le blogueur Ahmed Jedou a indiqué sur son blog qu’un certain nombre d’activistes, notamment des blogueurs, des syndicalistes, des enseignants et des personnes ayant perdu leur emploi, ont rejoint la marche. Selon lui, les protestataires devraient atteindre la ville de Nouakchott au plus tard à la mi-mars.

L’opposition mauritanienne n’est pas non plus en marge du mouvement de protestation. Elle a récemment tenu à faire entendre sa voix. Elle s’en est prise directement au chef d’Etat Mohamed Ould Abdel Aziz. Les présidents des dix partis membres de la Coordination de l’opposition démocratique ont organisé, le 25 février, une conférence de presse à Nouakchott, rapporte RFI . Ils ont appelé au départ du dirigeant. « Le chef d’État actuel doit quitter le pouvoir parce qu’il a donné des preuves qu’il ne peut pas bien gouverner la Mauritanie, parce qu’il a ruiné notre économie, parce qu’il a fait preuve de népotisme, parce qu’il ne cesse de s’immiscer dans le pouvoir judiciaire, parce qu’il n’a pas uni les Mauritaniens… », a déclaré le président de la coordination, Bâ Mamadou Alassane.

La contestation mauritanienne est peu relayée par les médias internationaux. Mais elle prend suffisamment d’ampleur pour empêcher le pouvoir de dormir sur ses deux oreilles. D’autant plus qu’Internet est devenu un allié de taille pour la jeunesse. Après tout, le peuple est imprévisible….

Lire aussi : L’Egypte inspirée par la cyber-révolution tunisienne

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News