La culture ne fait pas parti des dix priorités du Nepad. Une erreur d’appréciation que les dirigeants politiques sont actuellement en train de corriger, mais qui avait frappé Edwige Gbaguidi depuis le début. La fondatrice de l’association Expressions d’Afrique, dont les travaux ont inspiré de grandes organisations internationales, nous explique toute l’importance du culturel pour une appropriation du Nepad par une société civile totalement absente, pour l’instant, des débats.
Par Nabila Benladghem
La culture onzième priorité du Nepad ? Pour Edwige Gbaguidi, elle devrait même figurer en tête d’une liste dont elle est aujourd’hui absente. Car dans son élaboration originelle, le Nouveau partenariat pour l’Afrique n’avait tout simplement pas retenu la culture comme un axe prioritaire de travail. Si aujourd’hui les responsables politiques revoient quelque peu leur copie, d’autres avaient, dès le départ, fait entendre leur voix en ce sens. La fondatrice de l’Association Expressions d’Afrique[[<*>Expressions d’Afrique a pour but de trouver des plates-formes d’expressions aux intellectuels et aux artistes et des débouchés commerciaux pour les artisans. Expressions d’Afrique voudrait ainsi promouvoir l’entreprenariat culturel et susciter des rencontres entre les créateurs (jeunes, diaspora) et les professionnels de la culture, en vue de stimuler la création de nouvelles synergies, mettre en exergue, l’excellence africaine.]] a longuement travaillé sur le sujet. Des travaux, d’ailleurs largement repris à leur propre compte par certaines organisations internationales, dont le postulat de base place la culture au centre des débats comme acteur fondamental du développement. Militant pour des actions concrètes, Edwige Gbaguidi prône une appropriation du Nepad par la société civile. Une adhésion nécessaire de la base sans qui rien ne sera possible ou efficace.
Afrik.com : Comment avez-vous réagi quand vous avez constaté que la culture ne figurait pas parmi les dix priorités du Nepad ?
Edwige Gbaguidi: Comme bien d’autres acteurs culturels nous avons été choqués de voir que les dirigeants politiques n’ont rien compris. Ils auraient dû comprendre que la culture est au cœur de tout. Comme l’avait bien compris le colon. Quand il est arrivé chez nous, il a commencé par la culture et c’est ainsi qu’il a su asseoir son projet d’acculturation, à travers l’éducation et la religion. Le résultat est là, aujourd’hui, cinq siècles après. Ils n’ont pas eu besoin des milliards consacrés au programme de développement en Afrique, pour atteindre leurs objectifs. Nous en sommes les produits et même les promoteurs. Chaque année, les politiques et les institutions travaillent autour d’une thématique, comme la diversité culturelle, le dialogue interculturel ou le développement culturel, mais ça se résume aux colloques. On ne ressent pas une synergie avec la base. Nous avons pour ambition de donner un sens concret à cela. Et pour ça nous avons besoin d’être sur le terrain.
Afrik.com : Beaucoup estiment que la culture est secondaire en matière de politique de développement…
Edwige Gbaguidi: Il y a une sorte d’incantation au mot développement qui est agaçant. Leur argument est de dire : « Avant de parler de culture, il faut d’abord savoir si les gens ont mangé». Ce qui est une ineptie. Les experts économiques estiment souvent que la culture africaine est un frein par rapport aux projets de développement. Mais en disant cela, ils honorent la puissance de la culture. Si ça empêche de faire certaines choses, c’est qu’il faut la considérer. La culture est dans toutes les intelligences du territoire. Elle est le ciment de la société. Il faut donc commencer par donner au peuple les moyens de s’exprimer. Le développement ne se décrète pas. Il se construit sur la base d’une volonté commune d’avancer vers un même but.
Afrik.com : Vous estimez que nous subissons une vision du développement qui ne correspond pas vraiment à l’Afrique ?
Edwige Gbaguidi: Nous ne nous sommes pas demandé comment inscrire nos aspirations dans le futur ? Nous nous sommes contentés de vivre sur les acquis coloniaux, sans concevoir notre modernité en fonction de notre culture. Qu’est-ce que l’Afrique contemporaine compte verser dans le creuset de l’universel? C’est à cette question que nous devons répondre à travers le Nepad. A nous, par exemple, d’imaginer notre télévision, avec nos propres programmes qui, comme on le sait, participent à construire l’identité culturelle d’un pays, d’un continent. A nous de changer cette image écornée de l’Afrique. La télé est un danger culturel. Et à ce titre une véritable arme. Quand on va en Afrique, on constate que les jeunes ne regardent pas les programmes locaux. Nous sommes consommateurs d’images d’ailleurs et nous sommes en train de prendre des mœurs d’ailleurs. Or la télévision est un référent fantastique. Il y a là une altération inconsciente de notre culture.
Afrik.com : Croyez-vous vraiment au Nepad ?
Edwige Gbaguidi: Je crois foncièrement au Nepad et je dis merci à ses initiateurs, car c’est l’occasion de tout recommencer à zéro. Vive le Nepad donc, mais je souhaite qu’on arrête les discours et qu’on passe à l’action. Ils ont créé un cadre, approprions-nous le, de manière à ce que ça ne soit plus l’affaire des intellectuels ou des politiques. Il faut arrêter avec toutes ces conférences ou forums stériles. Cela génère des fonds…qui sont dilués dans les frais de fonctionnement.
Afrik.com : A l’heure actuelle, le Nepad ne serait, pour vous, qu’une histoire de politiciens ?
Edwige Gbaguidi: On constate, en tout cas, qu’ils en font leur affaire personnelle. Tant que les dispositifs et les projets resteront au sommet, le Nepad a malheureusement toutes les chances d’être étouffé dans l’œuf et de connaître le même sort que les initiatives qui l’ont précédé. Mais nous sommes actuellement dans un processus où ils sont encore à définir le périmètre d’action du Nepad.
Afrik.com : Que faudrait-il pour que la société civile s’approprie le Nepad ?
Edwige Gbaguidi: Nous insistons sur le fait de dialoguer avec la diaspora, avec les femmes et avec les jeunes. Pour montrer l’émergence d’une nouvelle conscience africaine. On ne peut pas continuer comme ça à dire que c’est la faute du Blanc, du colonisateur. Ce n’est pas vrai. Quand on dépense des milliards de FCFA rien que pour fêter l’indépendance, je trouve que nos priorités sont inversées. Qu’avons-nous réalisé depuis notre accession aux indépendances ? Comme pour le Nepad où l’on insiste sur des thèmes tels que la bonne gouvernance, alors qu’on voit très bien comment se passe l’alternance en Afrique. Pour notre part, nous insistons sur l’éducation, la culture, la communication et les sciences.
Afrik.com : Quels types de projets concrets pourrait-on mettre en œuvre dans un cadre culturel du Nepad ?
Edwige Gbaguidi: Il faut déjà rétablir, dans le monde entier, cette image écornée de l’Afrique. A travers la télévision et les médias. Il faut favoriser la production audiovisuelle. Il faut des images pour corriger cette représentation collective des Africains. Il faudrait également une représentation de l’Afrique dans chaque région du monde avec des Maisons de l’Afrique. Pour que le Nepad ne reste pas au niveau politique, il conviendrait d’élaborer un questionnaire en direction des professionnels de la culture et de la communication. Le but est d’emmener cette frange de la population, qui n’est pas active actuellement au sein du Nepad, à donner son point de vue sur les actions à mener et qu’ils servent de relais avec la base. La société civile doit revendiquer sa place et son rôle.
Pour joindre Edwige Gbaguidi