La crise s’aggrave en République centrafricaine


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L’an dernier, l’élection du président Faustin-Archange Touadéra a fait naître l’espoir d’un réel changement en République centrafricaine (RCA). Or, 12 mois plus tard, le nouveau chef d’État n’a toujours pas réussi à étendre son autorité au-delà de la capitale, Bangui, et le reste du pays demeure plongé dans le chaos.

Le mois dernier, Fatimatou Issa et ses proches ont été directement témoins de cette violence. Même si cela faisait plusieurs jours qu’ils entendaient des rumeurs faisant état de troubles, ils n’ont pas eu le temps de réagir lorsque les rebelles de l’ex-Séléka sont arrivés.

Ils ont d’abord cru qu’ils étaient venus combattre d’autres rebelles. Puis, voyant les balles siffler un peu partout dans Mbourtchou, un village de la préfecture de la Ouaka essentiellement habité par des membres du groupe ethnique fulani, ils ont compris qui ils ciblaient.

« Ils sont arrivés à bord de véhicules et se sont mis à tirer partout », a dit Mme Issa, 26 ans. « Mon mari a voulu réagir pour protéger la communauté, mais il a été abattu d’une balle dans la tête. »

Mme Issa nous a raconté son histoire, debout devant une fragile hutte de paille et de bambou, transpirant dans la chaleur poussiéreuse. Après l’attaque, elle s’est réfugiée au camp pour personnes déplacées d’Elevache, à Bambari, une petite ville commerçante voisine faite de rues de terre rouge et de maisons de briques et de boue et située à 400 kilomètres de Bangui.

« De nombreuses familles n’ont rien reçu », a dit le leader communautaire Mohammadou Saibou, qui a fui la même attaque. « Quand nous sommes arrivés, la Croix-Rouge nous a donné des vivres, mais il n’y en avait pas assez pour tout le monde. »

Aggravation de la crise

Un an après un scrutin démocratique qui avait laissé espérer l’ouverture d’une nouvelle ère en RCA, la situation se détériore. Des groupes armés contrôlent en effet la vaste majorité du pays et des civils comme Mme Issa et M. Saibou en sont les principales victimes.

La reprise des hostilités entre les groupes rebelles dans les préfectures de la Ouaka et de la Haute-Kotto, dans le centre et l’est du pays, menace désormais Bambari, la deuxième plus grande ville de la RCA.

Ces affrontements, ainsi que ceux qui ont lieu à Kaga-Bandoro, dans le nord, et à Ouham-Pendé, dans le nord-ouest, ont poussé plus de 411 000 personnes à quitter leur foyer – un record depuis le début de la crise.

En 2013, le conflit opposait la Séléka, une coalition de groupes rebelles du nord, majoritairement musulmans, qui a renversé l’ancien président François Bozizé lors d’un coup d’État, et les anti-balaka, un réseau de milices d’autodéfense chrétiennes apparues pour lui résister.

La dynamique n’est plus la même aujourd’hui. Après une partition de facto entre les chrétiens, au sud, et les musulmans, au nord, les hostilités entre les deux groupes ont diminué. Elles ont été remplacées par une explosion d’affrontements fratricides entre différentes factions de la Séléka, qui ont été dissoutes et chassées de Bangui en 2014.

« Au lieu de la prétendue logique chrétien-musulman qui prévalait au début du conflit, nous voyons maintenant des groupes musulmans se battre contre d’autres groupes musulmans. La communauté est ainsi divisée le long de lignes ethniques et les divers groupes se disputent le contrôle du territoire », a dit Richard Moncrieff, directeur du projet Afrique centrale de l’International Crisis Group (ICG).

Dans les préfectures de la Ouaka et de la Haute-Kotto, l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC), dominée par des musulmans du groupe ethnique des Fulani, et une coalition de rebelles dirigée par le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), essentiellement composé de musulmans des communautés Gula et Runga, se disputent le contrôle.

L’UPC et le FPRC se sont scindés en 2014, après que le leader du FPRC Noureddine Adam eut réclamé l’indépendance du nord de la RCA, une région à majorité musulmane, une initiative désapprouvée par le leader de l’UPC Ali Darassa. Les tensions se sont aggravées lorsque Darassa s’est opposé aux tentatives du FPRC d’unifier les factions de l’ex-Séléka, en octobre dernier, et elles sont devenues critiques un mois plus tard à la suite d’affrontements survenus aux environs d’une mine d’or à Ndassima.

Un conflit à caractère ethnique

Depuis lors, le conflit a acquis un caractère ethnique : les deux groupes se sont en effet mis à cibler les civils associés à leurs opposants. L’attaque menée par le FPRC contre le village de Mme Issa et M. Saibou s’est produite après un assaut encore plus brutal survenu à Bria, à 100 kilomètres à l’est.

Entre le 21 et le 23 novembre, le groupe a trié et massacré les Fulani, un groupe traditionnellement nomade dont les membres sont faussement considérés comme des « étrangers » ou des « Tchadiens ».

Selon M. Saibou, qui travaillait comme commerçant avant de fuir le FPRC, cet argument ne fait aucun sens.

« Notre communauté a toujours été là, même avant l’indépendance », a-t-il dit, pendant qu’un groupe d’hommes priaient près de lui. « Pourquoi disent-ils que nous ne sommes pas d’ici ? »

Les Fulani qui sont restés à Bria sont maintenant coincés dans des enclaves. On craint de plus en plus que la ville de Bambari soit confrontée à une situation semblable ou pire.

Les forces du FPRC se rapprochent actuellement de la ville depuis Ippy, au nord-est, et Bakala, au nord-ouest. Elles veulent déloger l’UPC, « libérer le pays des groupes armés étrangers » et faire de Bambari la capitale d’un État indépendant appelé la République de Lagone, ou Dar al-Kuti.

L’UPC tente d’empêcher leur avancée, mais, ce faisant, le groupe commet lui-même des atrocités. Selon un rapport de Human Rights Watch (HRW), ses membres auraient exécuté 32 civils et capturé plusieurs combattants en décembre à Bakala.

Environ 10 000 civils ont fui vers les villes voisines de Mbrés, Grimali et Bambari. Plusieurs milliers d’autres campent dans la brousse.

« Ils sont arrivés un dimanche après-midi. Ils ont aussi attaqué la communauté chrétienne et les Gula », a dit Christine Passio, une chrétienne de 45 ans qui a fui Bakala en décembre dernier.

Elle vit aujourd’hui dans une hutte de paille située près de la piste d’atterrissage de Bambari. Elle survit grâce aux maigres rations qu’elle conserve précieusement dans un sac en toile.

« Nous n’avons pas eu le temps de prendre nos affaires. Nous avons marché pendant trois semaines dans la brousse en transportant nos enfants. Nous n’avions rien à manger », a-t-elle dit.

Pour le moment, Bambari est épargnée par le conflit. Mais les affrontements entre les deux groupes ont empoisonné les relations au sein de la communauté musulmane de la ville. Les membres de l’UPC ciblent en effet les Gula et les Runga, qu’ils considèrent comme des sympathisants du FPRC.

« C’est la première fois que nous connaissons ce genre de division au sein de la communauté musulmane », a dit un travailleur humanitaire qui a demandé à garder l’anonymat. « Chaque fois qu’il y a un convoi vers Bria ou Bangui, [les Gula et les Runga] profitent de l’occasion pour partir. D’autres se sont réfugiés du côté chrétien de Bambari. »

L’ennemi de mon ennemi

Assis au fond de la petite église catholique de Notre-Dame-des-Victoires, qui fait aussi office de camp pour chrétiens déplacés, Zoyondonko Sogala Deya, un Gula de 32 ans, est remarquablement calme.

Jusqu’à récemment, ce père de trois enfants n’aurait pas rêvé de mettre le pied dans cette zone, située au beau milieu des quartiers de la ville contrôlés par les anti-balaka.

Mais, après que sa maison eut été pillée par des combattants de l’UPC, le mois dernier, M. Deya a dit qu’il n’avait pas vraiment eu le choix de trouver refuge auprès de la communauté chrétienne. Lorsqu’on lui a demandé si cela l’inquiétait de vivre parmi des anti-balaka, il a secoué la tête. « Je me sens beaucoup mieux ici avec les chrétiens que là-bas avec les musulmans », a-t-il dit. « Nous avons tous peur de l’UPC. »

La confiance de M. Deya envers les anti-balaka n’est pas aussi étrange qu’il y paraît, du moins pour l’instant. Dans et autour de Bambari, des éléments anti-balaka ont en effet scellé une alliance opportuniste avec les combattants du FPRC dans le but de partager avec eux le butin de guerre ou simplement d’expulser les Fulani de la RCA. Les deux groupes étaient pourtant des ennemis jurés il y a quelques mois seulement.

Assis dans un restaurant situé à proximité de sa maison, à l’ouest de Bambari, Marcelin Orogbo, secrétaire général des anti-balaka à Ouaka, a dit que tout ce qu’il veut, c’est « chasser Ali Darassa ».

Tout en descendant des bouteilles de Mokaf, une bière brassée à Bangui, il a loué les combattants du FPRC pour leur « discipline » et soutenu que leur objectif à Bambari était simplement d’« expulser l’UPC ».

Reste à voir combien de temps durera cette alliance. Quand IRIN a parlé du but avoué du FPRC de diviser le pays, M. Orogbo a rapidement réagi en disant : « S’ils vont au-delà de leur objectif de se débarrasser de Darassa, nous ne l’accepterons pas. Nous sommes strictement contre la division du pays. La RCA doit rester unie. »

Avec son effectif d’environ 13 000 soldats et policiers, la force de maintien de la paix des Nations Unies en RCA, la MINUSCA, doit mener deux offensives distinctes pour endiguer la vague de violence dans le centre et l’est de la RCA. Il s’agit de l’un des plus grands défis qu’elle ait connus jusqu’à présent.

La mission a été critiquée pour son inaction, même si son mandat est essentiellement de protéger les civils. La MINUSCA a tracé des « lignes rouges » sur les routes menant à Bambari afin d’empêcher l’avancée du FPRC. Elle a aussi lancé un ultimatum appelant les combattants de l’UPC qui se trouvent dans la ville à partir.

« Nous sommes prêts, disposés et capables de prendre le contrôle de la ville. Et nous le ferons », a dit le chef du bureau des Nations Unies à Ouaka Alain Sitchet, sur un ton confiant. « Bambari sera une ville sans armes. »

Tout le monde n’est pas aussi optimiste. Le FPRC a déjà franchi une « ligne rouge » et, selon une source bien informée, ses combattants contournent les positions de la MINUSCA sur les routes principales et avancent vers Bambari par la brousse.

Des rapports ont laissé entendre qu’Ali Darassa avait quitté Bambari. La ville abrite cependant toujours des combattants de l’UPC habillés en civil. D’autres continuent de lutter contre le FPRC dans les villes et les villages voisins.

Dans une interview menée plus tôt avec IRIN, Darassa – un personnage imposant vêtu d’une robe blanche assis sur une chaise de plastique – s’est délibérément montré ambigu au sujet de ses plans futurs.

« Si la population civile veut que je parte, je partirai », a-t-il dit, ajoutant que la protection de la population fulani de Bambari demeurait sa priorité.

Le dilemme de Touadéra

Quant au gouvernement central, il semble pratiquement impuissant. Cela montre qu’« une élection relativement bien acceptée permet la mise en place d’un gouvernement légitime à Bangui, mais qu’elle ne permet pas grand-chose de plus », a dit M. Moncrieff.

Afin de contenir les différents groupes armés, le président Touadéra, un ancien professeur de mathématiques, a engagé un dialogue sur le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR).

Mais les programmes de DDR menés par le passé en RCA ont échoué et rares sont ceux qui sont optimistes quant à l’initiative actuelle.

Le FPRC, un nouveau groupe armé basé dans l’Ouham-Pendé appelé Return, Reclamation, Rehabilitation (mieux connu sous le nom de 3R) et des anti-balaka placés sous le commandement de Maxime Mokom ont tous boycotté le processus.

Toutes les mesures prises par les groupes de l’ex-Séléka pour se désarmer ont été « purement symboliques », a dit Lewis Mudge, chercheur chez Human Rights Watch.

« Il suffit d’y réfléchir un instant pour comprendre que ces groupes n’ont aucune raison de se désarmer », a-t-il ajouté. « Ils profitent du conflit. L’UPC est peut-être en position défensive, mais le FPRC et le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (un autre groupe de l’ex-Séléka) profitent du conflit. »

Les véritables griefs à l’origine du conflit n’ont pas non plus reçu l’attention qu’ils méritent, selon M. Moncrieff.

« L’absence totale d’opportunités économiques dans les provinces et la question de la citoyenneté sont les deux principaux problèmes », a-t-il dit. « Les habitants sont nombreux à avoir le sentiment d’être des citoyens de seconde classe et d’être complètement marginalisés par les classes politiques de Bangui. »

Bien que riche en minerai, la RCA est sous-développée, et ce, depuis plusieurs décennies. Les violences persistantes viennent par ailleurs aggraver la pauvreté alors que la moitié des 4,6 millions d’habitants dépendent déjà de l’aide humanitaire.

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