La crise économique, véritable moteur de l’annulation de l’Aïd au Maroc selon l’Espagne


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Foirail au Maroc
Un foirail au Maroc

L’annulation de la fête du sacrifice par le roi Mohammed VI secoue le secteur ovin espagnol, déjà en difficulté. Si le souverain invoque la sécheresse, selon l’Espagne, c’est bien la crise économique qui touche le royaume chérifien qui semble motiver cette décision historique.

Le 26 février dernier, le roi Mohammed VI prenait une décision sans précédent sous son règne : l’annulation de l’Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, l’une des célébrations les plus importantes du calendrier musulman. Un événement qui s’apparente à un séisme pour les éleveurs espagnols qui fournissaient jusqu’à présent 80% des importations d’agneaux pour cette fête religieuse.

Un secteur ovin espagnol frappé de plein fouet

Cette décision constitue « un coup dur pour le secteur ovin espagnol« , comme le confirme José Friguls, directeur d’Anafric, l’Association des entreprises de viande espagnoles. Les chiffres sont éloquents : chaque année, environ 850 000 agneaux vivants partaient de l’Espagne vers le Maroc, principalement pour cette célébration. Près de la moitié de ces exportations, soit 490 000 agneaux, étaient habituellement expédiés au cours du premier trimestre.

« Cette annulation est un revers, même si la relation avec le Maroc continuera d’être essentielle pour l’avenir du secteur espagnol de la viande« , affirme Friguls dans une interview à El Mundo. La situation est d’autant plus préoccupante que l’industrie ovine espagnole souffrait déjà d’une grave crise, avec une baisse significative de la production entraînant une hausse des prix et poussant de nombreux producteurs à abandonner leur activité par manque de rentabilité.

Entre janvier 2024 et janvier 2025, l’Espagne a perdu 1 219 exploitations de production et d’élevage de viande, ainsi que 432 431 ovins. « L’offre animale est très limitée« , déplore Antonio Punzano, éleveur de moutons et de chèvres à Sierra Morena (Jaén), qui possède 1 300 têtes de bétail.

La sécheresse, un prétexte discutable

Si la version officielle avancée par le Palais royal marocain évoque une sécheresse persistante qui frappe le pays depuis sept saisons agricoles, entraînant une réduction de 38% du cheptel national, cette explication suscite des interrogations côté espagnol. Comme le souligne Ángel García Blanco, éleveur de bétail de Cáceres : « L’agneau est cher là-bas, et le roi subventionne 80% du coût pour chaque famille. » Un rapport officiel du ministère marocain de l’Agriculture estimait qu’en 2024, 87,5% des familles marocaines avaient célébré la fête, au cours de laquelle 6 millions de têtes de moutons et de chèvres avaient été abattues.

Or, la logique économique prime sur l’argument climatique aux yeux des observateurs espagnols : si la majorité du bétail destiné à cette célébration est importé, notamment d’Espagne, l’impact de la sécheresse locale sur le cheptel marocain ne saurait donc justifier à lui seul l’annulation de la fête.

La crise économique, véritable moteur de la décision royale

En arrière-plan, bien que ce ne soit pas la version officielle, c’est la grave crise économique que traverse le Maroc qui est pointée par les analystes espagnols comme facteur décisif pour cette mesure drastique. Cette décision viserait principalement à alléger le fardeau financier des familles marocaines, déjà mises à mal par l’inflation. Et par la même occasion le coût pour le roi et les finances publiques.

« Sa mise en œuvre dans ces conditions difficiles risque de porter préjudice à de larges pans de notre population, notamment ceux qui ont des revenus modestes« , indiquait d’ailleurs le message royal. Il s’agit de la première fois depuis l’accession au trône du roi en 1999, et la quatrième fois dans l’histoire du pays, que cet important rituel est suspendu.

L’Algérie, une approche radicalement différente

Le contraste est saisissant avec le voisin algérien qui, face à des défis économiques similaires, a opté pour une stratégie diamétralement opposée. Conscient de l’importance fondamentale du sacrifice rituel pour la population, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a pris des mesures pour maintenir cette tradition. Lors d’une récente réunion du Conseil des ministres, il a ordonné l’importation massive d’un million de têtes de bétail pour garantir que chaque famille puisse célébrer dignement l’Aïd el-Adha. Cette initiative, entièrement prise en charge par l’État à travers ses organismes spécialisés, s’accompagne d’un mécanisme complet de distribution. Des coopératives publiques seront mobilisées pour assurer une répartition équitable, tandis que des dispositifs spécifiques permettront aux travailleurs d’acquérir un mouton à prix abordable via les services sociaux.

Cette divergence d’approche entre les deux pays voisins illustre deux visions distinctes de la gouvernance : l’une interventionniste et visant à préserver une tradition culturelle, l’autre demandant à sa population de se sacrifier face à la crise, tout en invoquant des justifications environnementales qui, aux yeux des experts espagnols du secteur ovin, semblent masquer les véritables enjeux économiques.

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