Lors des débats de la douzième conférence de la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), qui s’est tenue cette semaine à Accra, au Ghana, la question de la crise alimentaire a suscité diverses réactions chez les participants. Si chacun est unanime sur la gravité de la situation, les solutions proposées restent théoriques et des mesures urgentes doivent être appliquées, a rappelé le Secrétaire Général de la Cnuced, Mr Supachai Panitchpakdi.
Notre envoyée spéciale à Accra
Si d’aucuns estiment qu’il faut une Cnuced plus audacieuse, capable de peser sur l’action des gouvernements, d’autres jugent qu’il faut accroître la production et la productivité des pays du Sud pour établir une auto suffisance alimentaire et réduire les conséquences de la flambée des prix sur les populations les plus démunies en Afrique. Certains pensent encore que l’agriculture en Afrique a été négligée au profit des produits d’exportation. « La souveraineté alimentaire doit primer sur le commerce », affiche pour sa part le journal local African Flame. Et plusieurs panels de la conférence ont mis en relief l’évolution du traitement des matières premières pour les pays tributaires des produits de base comme le café, le cacao, le coton ou les minerais. Tour de table des réactions :
Eriola Cokou, ONG Ehuzu pour le Développement des Populations Rurales de Côte d’ Ivoire
« En Côte d Ivoire, nous avons négligé les cultures vivrières comme le maïs, le mil, le sorgho ou le riz, au profit des cultures d’exportation comme le café, le cacao ou l’hévéa. Ce qui nous rend dépendant des produits d’importation. Or notre pays, qui est très riche, pourrait être le grenier de toute l’Afrique de l’ouest. Si nous développions notre agriculture vivrière, nous atteindrions une certaine autosuffisance alimentaire. »
Nelson Gaggawala, Ministre du Commerce de l’Ouganda
« La crise alimentaire qui secoue l’Afrique est grave ! Je n’aurais jamais pensé être assis ici à l’évoquer. En Ouganda, nous avons d’importantes ressources. Or cette crise met en relief notre déficit en matière de transfert de technologie et d’infrastructures pour transformer nos matières premières. Nous avons urgemment besoin d’une assistance financière et technique pour cela. Comment traiter nos produits, les transformer, les conditionner et les acheminer vers les lieux d’échanges. »
Mamadou Cissokho, ROPA, Réseau des Organisations paysannes et Agricoles du Sénégal
« Un peuple qui ne peut pas s’alimenter est un peuple condamné ! En Afrique, nous payons les intrants agricoles plus chers que tous les pays du monde. Or si ces prix là baissaient, nous pourrions multiplier notre production alimentaire. Qu’on arrête de mettre en cause le FMI et la banque Mondiale. Il faut baisser les taxes sur les produits agricoles jusqu’à 5% environ, permettre une protection plus efficace du marché africain et 50% de subventions aux intrants agricoles (pesticides, engrais etc..). C’est pourquoi la Cnuced est un espoir, un lieu pour proposer tout cela. Notre agriculture doit susciter plus d’investissements parce que les politiques nous ont abandonnés. Le jour où les paysans taperont du poing sur la table, tout ira mieux. »
Mr Raoul Olaye Afouda, ONG Bénin Rural Assistance
« C’est la population qui subit la flambée des prix sans comprendre les mécanismes inhérents à ce phénomène. On parle de hausse du prix du pétrole, mais la population continue d’ignorer pourquoi elle subit cette crise alimentaire. C’est pourquoi notre ONG essaye d’aider certaines populations rurales au Bénin. Notre action se situe à un niveau local. Mais nous avons aussi besoin d’une aide du gouvernement pour promouvoir un développement durable. »
Choukri Mamoghli, Secrétaire d’Etat chargé du Commerce, Tunisie
« Cette flambée des prix que connaît l’Afrique s’explique aussi par les fonds spéculatifs sur les marchés boursiers. Ceux qui détiennent les actions sur les produits agricoles n’ont pas idée des conséquences de leur spéculation sur le pouvoir d’achat des populations locales. Il n’est Plus question d’offre ou de demande, de capacités de production ou de croissance mondiale mais de fonds de pension privés notamment anglo-saxons sur les marchés financiers, qui empêchent de rentabiliser et d’enrichir les pays tributaires de ces fonds. L’influence de ces spéculations pèse lourdement sur les prix des produits agricoles. Cela crée un cercle vicieux, une hausse du prix des produits de base et un accroissement de l’inflation et des endettements qui pèsent sur les gouvernements. Voilà le problème qu’il faut attaquer de fond et je lance un appel ici à la Cnuced car les états sont en train de subir les spéculations de ces marchés financiers. »
Mr Daramy, représentant de la CEDEAO à la Cnuced XII
« A l’heure actuelle, nous ne produisons pas assez pour nourrir nos populations, ce qui explique l’insuffisance alimentaire. Et la Cnuced doit inciter les gouvernements à accroître la production agricole des pays africains. Nous ne pouvons plus seulement produire des produits de base mais nous devons aussi être capable de transformer nos économies. A quoi servent les institutions si les populations ne peuvent pas se nourrir correctement ? »
Florence Kata, Presidente d’Ouganda Export promotion board
« C’est ma deuxième participation a la Cnuced. Je suis venue à Accra parce que certaines problématiques sont devenues urgentes : le changement climatique, l’intégration régionale dans les négociations commerciales, l aspect de la globalisation. Que disent les délégations ? Je suis curieuse de voir comment chaque participant est d’accord avec l’autre pour avancer sur toutes les problématiques. Il est évident que, malgré toutes les discussions, l’écart se creuse, les violences liées a la pauvreté, les émeutes sur la vie chère un peu partout en Afrique… J’attends des solutions. »
La 12ème session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement s’est achevée, vendredi, par l’adoption par les 193 Etats membres de « la Déclaration d’Accra » et de « l’Accord d’Accra », dans lesquels les Etats membres se sont déclarés résolus à « promouvoir un système commercial multilatéral fonctionnel, universel, fondé sur des règles, ouvert, non discriminatoire et équitable qui encourage le développement ». Gageons que ces déclarations de principe seront suivies de faits.