Plus la guerre dure, plus les forces nouvelles découvrent un autre visage. Leur comportement de ces derniers jours jette un lourd discrédit sur leur capacité à pouvoir diriger efficacement un régime national. Les conflits internes et le désordre régnant dans la zone sous leur contrôle ne jouent point en leur faveur sur l’échiquier national et international.
De notre correspondant Mamadou Mbengue
Un an de rébellion. C’est à la surprise générale que le monde a découvert, le 19 septembre 2002, la première rébellion armée surgir au nord de la Côte d’Ivoire. Depuis cette date, la communauté internationale lui a ouvert toutes les portes. Mieux, elle la reconnaît. Plusieurs chefs d’états reçoivent les chefs rebelles et les écoutent dans l’option d’amorcer la crise ivoirienne. Et c’est en rangs serrés qu’ils parviennent à aller aux pourparlers de Lomé (Togo), d’Accra (Ghana), de faire une escale à Dakar avant de regagner Paris pour les accords de Marcousis. Partout où ils sont passés, on leur a déroulé le tapis rouge. Mais aujourd’hui, beaucoup d’hommes d’états se méfient de cette rébellion qui arrive mal à prouver sa maturité.
On ressent un profond malaise au sein du mouvement armé. Il s’entre-déchire et commet, presque tous les jours, des actes de vandalisme dans les zones sous son contrôle. Des défections de certains de ses membres et des suspicions de trahison viennent encore aggraver la situation du chaos qui règne à Bouaké. L’affaire de l’attaque de la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest) est pour beaucoup une preuve qui permet de se demander si ce n’est pas la fin de l’état de grâce des ex combattants.
Une crédibilité en chute libre
Au début de la crise, quelques rares noms sont connus du grand public. Certaines personnes spéculaient même sur la possible intervention des armées des pays voisins. On croyait la Côte d’Ivoire envahie par l’armée du Faso. Les jours suivants, on découvre les visages de grands officiers de l’armée ivoirienne sortir dans l’ombre et se réclamer de la rébellion.
Trois branches politiques et militaires sont créées. Le MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire), le Mpigo (Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest) et le MJP (Mouvement pour la Justice et la Paix) forment ce trio. Pour se faire entendre et se faire respecter auprès de la communauté internationale, les chefs de guerre chantaient à longueur de journée les vertus de la démocratie qu’ils incarnent. Ils avaient instauré un code de conduite au sein de leurs effectifs. La discipline était imposée à tous leurs éléments. Les mots d’ordre, « ne toucher ni aux personnes ni aux biens », étaient scrupuleusement suivis dans leur zone. Ces consignes semblent aujourd’hui être reléguées au second plan.
Course effrénée vers l’enrichissement
De retour à Paris, certains chefs de guerre se disent que la paix va revenir bientôt en Côte d’Ivoire et pensent, sans doute, qu’ils doivent chercher à s’enrichir avant que ne finisse la guerre. Félix Doh, défunt chef de guerre du Mpigo dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, est suspecté par les Forces nouvelles qui l’accusent de profiter de sa position de chef de guerre pour essayer de s’enrichir sur le dos des populations. Selon plusieurs témoignages, Félix Doh trafiquait des voitures en Côte d’Ivoire pour les revendre au Liberia. La rébellion l’accusait aussi de trafiquer de l’or ivoirien pour le placer dans le pays de Charles Taylor. Ses étroites relations avec Sam Bockarie, seigneur de guerre sierra léonais, finiront par le perdre. Finalement une mort suspecte le rattrape finalement dans son fief.
Quelques mois après leur arrivée au gouvernement, les ex rebelles soupçonnent de désobéissance deux de leurs collègues. Le ministre des Sports, Michel Gueu, celui des Petites et moyennes entreprises, Roger Banchi. On les avait même convoqué à Bouaké pour qu’ils viennent s’expliquer. Après le retrait des membres des Forces nouvelles du gouvernement, Roger Banchi, l’ancien porte parole du Mpigo, fait dissidence en décidant de rester au sein dans l’équipe de Seydou Diarra.
Désordre dans la zone des ex rebelles
Pas besoin de s’abonner pour effectuer des appels nationaux et internationaux en zone rebelle. Il suffit d’aller voir un technicien pour se connecter et effectuer des appels gratuits à longueur de journées. Des actes qui font subir de lourdes pertes à Côte d’Ivoire Télécom, filiale de France Télécom qui n’a pas pu jusque là recouvrir le paiement des factures de ses abonnés dans la région assiégée. Idem pour la Cie et la Sodeci, deux filiales de Bouygues. Les mois passés, les banques sur place à Bouaké, ont failli subir la loi d’éléments incontrôlés de la rébellion en quête de l’argent facile. Jusqu’au braquage de la BCEAO.
Une attaque meurtrière menée dans la nuit du 24 au 25 septembre. La banque essuie une tentative de braquage. un acte soit disant commis par certains membres isolés de la rébellion. Le chef d’Etat major des Forces nouvelles, informé du hold-up en cours, dépêche des éléments pour vérifier les faits. Arrivés sur les lieux, ils constatent que le bâtiment est encore occupé par les pillards. Ordre est donné aux soldats de rester sur les lieux afin que les cambrioleurs ne puissent pas sortir de l’enceinte du bâtiment. Le matin du 25 septembre, une attaque est lancée pour capturer les malfrats. La résistance est farouche. Les échanges de tirs sont nourris et causent deux morts. Les armes se taisent, mais pas pour très longtemps. Les cambrioleurs reviennent à la charge pour récupérer une partie du butin laissé sur place. Nouvel accrochage. Beaucoup plus sanglant.
Quelques heures après les combats, l’éparpillement des billets de banque sur les lieux attise la convoitise des civils. Chacun cherche à en profiter. D’autres fusillades s’en suivent pendant plusieurs heures. En tout, 23 personnes disparaissent dans ces événements malheureux qui n’honorent guère les Forces nouvelles. Appelés en renfort, l’apport des forces Licorne et la Miceci (La force de la mission de la Cedeao pour la Côte d’Ivoire) participent conjointement à un fragile retour au calme. Aujourd’hui les incidents à répétitions dans le camp des ex-rebelles permet à certains d’affirmer qu’ils sont en train de perdre leur crédibilité sur le plan national et international. La déchirure entre les frères de guerre et les problèmes de leadership tendent, il est vrai, à fragiliser le mouvement et hypothéquer la crédibilité de leur combat face au régime de Laurent Gbagbo.