Les Marocains analysent froidement la corruption chez eux. Oui, elle existe, aussi bien au niveau des entreprises que dans l’administration. Les résultats de l’enquête de Transparency Maroc sont effarants. L’Ong propose des mesures d’urgence pour lutter contre ce phénomène social.
Plus d’une entreprise sur deux verse des pots de vin pour avoir accès aux marchés publics. La corruption démotive les entrepreneurs pour soumissionner. Entre résignation et fatalisme. Même l’administration est concernée par ce phénomène. Le Secrétaire général de Transparency Maroc, Bachir Rachdi, estime que les autorités doivent prendre des mesures au plus vite. Interview.
Afrik : Selon votre enquête, l’accès aux marchés publics pour les entreprises privées marocaines est conditionné par la corruption. Quel est l’ampleur de ce phénomène ?
Bachir Rachdi : Nous avons mené une enquête (août – décembre 2001) auprès des entreprises et des ménages, qui révèle que la corruption gangrène toute la société. Pour le volet entreprises, plus d’une sur deux juge que les » versements » sont fréquents quand ils ne sont pas systématiques. L’accès aux marchés publics demeure lié à des affaires de corruption. Très peu d’entreprises ont le courage d’utiliser les recours légaux. Et 15% des entrepreneurs préfèrent éviter de soumissionner car, disent-ils, les jeux sont faits dans les coulisses.
Afrik : Qui en sont les principaux bénéficiaires et pourquoi les chefs d’entreprise ne réagissent-ils pas ?
Bachir Rachdi : Ceux qui tirent profit de cette situation sont ceux qui ont le pouvoir de décision. Les chefs d’entreprise sont désabusés et pensent que cela ne sert rien de porter plainte. Ils ont aussi peur d’avoir des ennuis par la suite. Il faut cultiver la politique de transparence pour lutter contre ce fatalisme.
Afrik : Justement, quels sont les moyens de lutte contre ce phénomène ?
Bachir Rachdi : La loi a évolué depuis deux ans mais les textes d’application ne suivent pas. Il faut que l’information soit accessible et transparente. L’entrepreneur doit pouvoir y avoir accès facilement et même suivre la réalisation du projet. Il faut créer un site web où les offres, les commissions et la réalisation soient faciles d’accès et réactualisées régulièrement. Notre politique est réaliste et réalisable, il faut juste une volonté politique. Il n’y a pas que les entreprises qui sont victimes de la corruption, même les citoyens en souffrent.
Afrik : Quels sont les domaines les plus touchés par ce phénomène ?
Bachir Rachdi : Notre enquête révèle que les secteurs les plus concernés sont ceux qui sont en relation directe avec la population. En premier, les Marocains désignent les agents d’autorité (agents administratifs sans bureaux et qui témoignent de la » probité » des citoyens, exception marocaine, ndlr), la gendarmerie, la police et la santé publique.
Afrik : Comment la santé publique peut-elle être concernée par la corruption ?
Bachir Rachdi : C’est dramatique mais le milieu hospitalier est parmi les secteurs les plus touchés par ce phénomène. L’accès aux soins est soumis à l’extorsion de fonds. De l’accueil aux infirmiers, en passant par la plus haute hiérarchie, la pratique de la corruption est courante. Si un citoyen veut consulter un médecin, il doit payer son droit de passage à différents niveaux.
Afrik : Y a-t-il des moyens de pression ?
Bachir Rachdi : Il faut changer les mentalités. On est dans un engrenage. Le citoyen ne résiste pas à ce système et alimente le phénomène. Il faut savoir s’arrêter et couper les racines de la corruption. Nous avons soumis notre étude au gouvernement et avons mis en avant les différents moyens de lutte. La transparence en est le principal moyen.