Si, lors de la conférence climatique de l’année dernière à Paris, les États membres des Nations Unies ont conçu un moteur censé nous conduire vers un climat soutenable, cette année à Marrakech, ils l’ont bricolé pour tenter de lui faire prendre de la vitesse.
Malgré le revers des élections présidentielles américaines qui ont attribué la Maison-Blanche au négationniste du changement climatique Donald Trump, les pays qui ont participé aux débats qui viennent de prendre fin au Maroc étaient eux au moins unis dans un même objectif.
Mais le défi est de taille. À Paris, les parties se sont engagées à limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés Celsius par rapport au niveau préindustriel. L’objectif, plus ambitieux, de le limiter à 1,5 degré semble nous échapper chaque année un peu plus.
Or, si les États-Unis, deuxième plus gros émetteur de gaz à effets de serre du monde, se retirent de l’accord de Paris, l’objectif fixé sera encore plus difficile à atteindre.
L’année 2016 est sur le point de devenir la plus chaude enregistrée jusqu’à présent en dépassant le record atteint en 2015. Dans certaines régions du monde particulièrement vulnérables, le changement climatique représente déjà l’un des principaux facteurs des crises humanitaires.
« Nous constatons de nos propres yeux comment le changement climatique accroît la pauvreté déjà existante et rend le développement plus difficile et plus coûteux », a observé Tracy Carty, spécialiste du climat pour Oxfam. « Rien qu’en Afrique, nous avons compté cette année que 40 millions de personnes de plus étaient exposées à la faim à cause du changement climatique et d’El Niño. »
La conférence de ces deux dernières semaines à Marrakech a marqué le début d’un processus visant à accélérer les actions de tous les pays dans la lutte contre le changement climatique, actions indissociables des progrès en matière de développement économique et d’éradication de la pauvreté dans les pays vulnérables.
Questions d’argent
Pour l’instant, les diplomates participant à la conférence climatique n’ont pu qu’ébaucher une solution aux problèmes les plus urgents, dont l’argent fait inévitablement partie.
Des représentants de pays africains, de petits États insulaires vulnérables, d’Asie et d’autres régions en développement présents à Marrakech ont demandé aux pays riches d’augmenter leurs contributions à l’adaptation au changement climatique. Les habitants de certaines villes côtières ont besoin de digues pour faire obstacle à la hausse des marées ; les paysans des régions arides doivent se déplacer pour trouver de l’eau douce ; et se mettre à cultiver des plantes résistant aux sécheresses n’est pas donné.
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement estime que l’adaptation coûtera entre 280 et 500 milliards de dollars par an d’ici 2050, rien que dans les pays en développement.
Cette année, les pays riches ont présenté une feuille de route budgétaire détaillant comment ils comptaient tenir leur promesse de financer la lutte contre le changement climatique à hauteur de 100 milliards de dollars d’ici 2020, engagement politique important pris en 2009.
Les financements privés des banques, des fonds et des caisses de retraite sont essentiels pour atteindre cet objectif.
Cependant, contrairement aux technologies d’atténuation comme les panneaux solaires et les parcs éoliens, les solutions d’adaptation n’ont pas d’intérêt commercial pour les investisseurs privés. C’est pourquoi la grande majorité des maigres financements liés au climat privilégient l’atténuation sur l’adaptation.
À Marrakech, l’Allemagne, l’Italie, la Suède et la Belgique ont promis d’allouer 81 millions de dollars à l’adaptation. Une goutte d’eau dans l’océan si l’on considère que les besoins mondiaux en matière d’adaptation augmentent d’un milliard par an.
« Nous avons besoin de plus de clarté et d’engagements à dégager une aide financière », a dit Aliou Dia, responsable régional de la lutte contre le changement climatique pour le Programme des Nations Unies pour le développement. « L’Afrique a un grand besoin d’adaptation [et] les pays ont encore du mal à accéder au financement international de la lutte contre le changement climatique. »
Cadre réglementaire
Pour assurer la bonne mise en œuvre de l’accord de Paris, un cadre réglementaire est nécessaire. Il faut avant tout faire en sorte que tous les pays puissent mesurer leurs progrès et en faire part aux Nations Unies de manière transparente.
« On ne peut pas gérer ce que l’on ne peut pas mesurer », a dit Yamide Dagnet, associée principale du World Resources Institute. « Il est également important de comparer les efforts mis en œuvre. Un grand nombre de bonnes initiatives sont déjà en place, mais il faut s’assurer d’en connaître les impacts et qu’il ne s’agit pas d’écoblanchiment. »
Une fois qu’un cadre assurant une bonne transparence sera posé, les pays devront garder la trace de leurs actions et présenter leurs progrès tous les deux ans.
Il n’y aura pas de mesures de coercition strictes pour ceux qui ne respecteraient pas leurs engagements, mais « nous devons faire en sorte que [le processus] soit efficace et imposant », a dit Mme Dagnet. Elle a expliqué que des experts offriraient recommandations et soutien aux pays en retard.
Seul le temps nous dira si de telles mesures sont suffisantes pour contraindre les pays à adopter un comportement plus écologique, même lorsque les ressources financières sont maigres.
Apprentissage par la pratique
L’accord de Paris ne pourra être mené à bien que par la coopération. Un certain nombre de plateformes de partages ont d’ailleurs été inaugurées à Marrakech.
L’une des initiatives les plus marquantes en la matière est le partenariat relatif aux contributions déterminées au niveau national. Il s’agit d’une coalition de pays développés et en développement et d’organisations internationales joignant leurs efforts pour partager les résultats de leurs recherches et leurs meilleures pratiques et pour diriger l’argent là où le besoin s’en fait le plus sentir afin d’accélérer les progrès dans la lutte contre le changement climatique.
Les membres de ce partenariat pensent qu’améliorer la technologie et les infrastructures permettra d’attirer les investisseurs privés et donnera un coup de fouet à l’économie verte des pays en développement tout en les affranchissant de l’aide humanitaire.
Même si l’adaptation reste une importante source de préoccupation pour le monde en développement, l’Initiative de l’Afrique sur les énergies renouvelables a fait sensation. Son objectif est d’atteindre 10 GW de capacité nouvelle et additionnelle de production d’énergie d’ici 2020 à partir d’un mix de technologies solaires, hydrauliques, éoliennes, géothermiques et de biomasse durable.
L’idée, conçue « par l’Afrique et pour l’Afrique », a réussi a mobiliser 10 milliards de dollars lors de son lancement l’année dernière. Marrakech en a marqué le déploiement.
Toutefois, a questionné un humanitaire haut placé, « ne sommes-nous pas obnubilés par une initiative attrayante alors qu’une énorme catastrophe est en train de se produire ailleurs ? »
Le moteur de l’accord de Paris a été actionné, favorisant la croissance du secteur des renouvelables tout en donnant de l’élan au développement propre partout dans le monde. D’ici deux ans, les parties se réuniront à nouveau pour en approuver le cadre réglementaire et, à partir de 2020, les pays devront répondre de leurs propres progrès.
Mais tous ces efforts combinés répondront-ils aux objectifs de l’accord de Paris ?
C’est peu probable. Les analyses démontrent que même si les objectifs nationaux, qui sont un élément essentiel de l’accord de Paris, sont pleinement atteints, la planète sera 2,7 degrés plus chaude à la fin du siècle. Une telle hausse des températures aurait des conséquences désastreuses.
L’accord de Paris a été conçu de manière à inciter les parties à adopter des objectifs plus ambitieux tous les cinq ans. Espérons que ce soit le cas !