Les 35e assises de la presse francophone se sont ouvertes mardi à Libreville. Quatre jours de débats placés sous le thème de la formation des journalistes. Hervé Bourges, président de l’UPF à l’initiative de cette rencontre en terre gabonaise, confie son sentiment sur la question et regrette que la coopération française ait abandonné le rôle moteur qu’elle assurait par le passé.
De notre envoyé spécial David Cadasse
Libreville, capitale de la presse francophone. 160 personnes issues de plus de 30 pays se sont donnés rendez-vous au Gabon pour les 35e assises du genre organisées par l’Union de la presse francophone (UPF) pour débattre et échanger sur le thème de la formation des journalistes. Hervé Bourges, président de l’UPF, revient sur les enjeux d’un sujet aux dangereuses dérives et déplore le fait que la coopération française se soit détournée de ses anciennes missions en la matière.
Afrik : A l’image de l’Institut supérieur des sciences et techniques de l’information et de la communication (Isstic) au Cameroun dont les soutiens financiers et logistiques viennent essentiellement des partenaires bilatéraux, comme l’Unesco ou la coopération française, on constate que les Etats africains ne participent pas beaucoup à la formation des journalistes. N’y a-t-il pas un problème de prise de conscience politique de l’importance du sujet ?
Hervé Bourges : Je ne crois pas que les Etats soient vraiment conscients des vrais problèmes qui se posent à la presse, notamment en matière de formation, où ils devraient investir d’avantage. Mais en ont-ils les moyens ? La question de fond réside dans un arbitrage quant à différentes priorités. Pourquoi mettre de l’argent dans une école de journalisme alors qu’il faut former des médecins ou des enseignants ?
Afrik : Le manque d’investissement des Etats africains dans la formation des journalistes n’est-il pas le reflet de craintes quant à une profession qui peut représenter un dangereux contre-pouvoir ?
Hervé Bourges : C’est possible. Mais un homme d’Etat intelligent doit comprendre que plus il aura des journalistes formés, plus il aura des professionnels qui ont un esprit de responsabilité. Ce qui n’est pas le cas de gens qui peuvent aborder la profession en dirigeant un journal comme une simple boutique. Et pour qui le seul but est de ramasser de l’argent. Ce que je crains le plus c’est moins une désaffection des Etats qu’une rupture au sein de la profession. Avec d’une part, les journalistes formés, qui ont conscience de leurs responsabilités et sont soucieux du respect de la déontologie, et des gens qui se disent journalistes. La profession est ouverte, et il faut qu’elle le reste, mais cela permet malheureusement l’éclosion d’une presse de mauvaise qualité, dite de caniveau, avec des gens qui ne veulent obéir à aucune règle. Pas même à une autodiscipline.
Afrik : La coopération française jouait, par le passé, un rôle fondamental dans la formation des journalistes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Hervé Bourges : La France a, d’une certaine manière, laissé tombé la formation des journalistes africains. Compte tenu de la diminution des budgets de la coopération, elle a pensé qu’il y avait d’autres objectifs majeurs. C’est une erreur. Car si les journalistes africains ne bénéficient pas de bourses françaises ou s’ils ne peuvent bénéficier d’une politique de coopération, ils se tourneront vers les Etats-Unis ou le Canada qui sauront choisir les meilleurs. Non pas pour aider les pays africains mais pour conserver ces compétences.
Afrik : Quel rôle jouait concrètement la coopération française ?
Hervé Bourges : Quand l’Isstic a été créé en 1970, par exemple, c’est la France qui a payé le bâtiment. Elle a aussi permis l’envoi de quatre conseillers techniques et a assuré pendant un temps une partie des frais de fonctionnement. Elle assurait également, en coopération avec le Canada, une troisième année d’étude qui permettait aux journalistes africains de partir à l’étranger pour avoir une ouverture sur l’extérieur après leur formation sur le terrain. Et puis il y avait des écoles françaises de journalisme qui accordaient des bourses aux Africains. Aujourd’hui il n’y en a pratiquement plus.
Afrik : Pensez-vous que la presse africaine a progressé ?
Hervé Bourges : Elle a progressé au moins en nombre ce qui est déjà important. Une chose frappante, par exemple, en Algérie où il y a aujourd’hui 40 quotidiens, 20 en français, 20 en arabe. En Afrique, il n’est pas rare d’avoir plusieurs quotidiens même lorsque le marché est restreint, comme au Sénégal où l’on a des quotidiens de bonne qualité. L’arrivée de Sud Quotidien a par ailleurs obligé Le Soleil, journal étatique, à améliorer le contenu de ses informations pour conserver ses lecteurs. D’une certaine manière, la concurrence et l’émulation ont été une bonne chose.