Le devenir du patrimoine culturel africain inquiète. Majoritairement représenté en dehors des frontières de l’Afrique, il est constitué de milliers d’objets, souvent acquis de manière douteuse par les institutions muséales occidentales. Systématiquement pillé depuis le temps de la colonisation, le continent africain, privé de tout un pan de sa culture, réclame aujourd’hui son dû. Une initiative qui se place au cœur d’un débat complexe, éthique et historique.
Depuis les années 1970, la question des objets en tout genre qui quittent l’Afrique, de manière légale ou non, est devenue un sujet qui préoccupe les décideurs politique et les professionnels du patrimoine culturel africain. Malgré la prise de conscience récente de ce phénomène et la mise en place de moyens de lutte contre le détournement de la mémoire d’un continent, l’Afrique subit toujours un pillage systématique qui entraine la désincarnation des objets ainsi déportés vers l’occident. Que l’on soit en Europe ou aux Etats-Unis, les musées et collections privées abondent de pièces rares à la provenance douteuse et souvent non avouée. Abdoulaye Camara, préhistorien et archéologue chercheur à l’IFAN (Institut Fondamental d’Afrique Noire) et ancien conservateur du musée d’art africain de Dakar [[Au Sénégal, il y a trois musées qui dépendent de l’IFAN (Institut fondamental d’Afrique Noire, ndlr). Le musée historique, qui retrace l’histoire générale du Sénégal, et le musée de la mer, sont tous les deux sur l’île de Gorée. Nous avons aussi le musée d’art africain Théodore Monod qui est dans les locaux de l’IFAN et qui présente des objets d’art, d’archéologie et d’ethnographie. Il y a le Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal, qui situé dans la ville de Saint-Louis, et qui abrite un musée de préhistoire, d’histoire, d’arts et des traditions populaires. Et enfin, quelques musées privés comme la maison des esclaves située sur l’île de Gorée, et différentes galeries d’art]], au Sénégal regrette que les musées sénégalais soient majoritairement visités par les touristes et les scolaires. Il s’exprime, dans cette interview, sur la question de la restitution des objets patrimoniaux africains conservés en Occident. Une restitution souvent complexe, régie par un code déontologique bien précis.
Afrik.com : Que pensez-vous de la restitution d’objets à leur pays d’origine, soulevée par la conférence du Caire, le mois dernier ?
Abdoulaye Camara : Je suis archéologue, ex conservateur de musées au Sénégal, membre du comité de déontologie de l’ICOM (International Council of Museums, ndlr). Aussi, cette question de restitution m’intéresse. Il est important de savoir qu’une part importante du patrimoine africain est conservée à l’extérieur du continent. Ce patrimoine est dispersé dans le monde, dans des collections privées ou publiques, ou chez des particuliers. La première démarche est de savoir comment ces objets sont sortis du continent. D’une manière générale, les musées occidentaux ont tendance à croire que tous les anciens pays colonisés demandent la restitution de leurs objets. Mais c’est totalement faux ! Nous ne demandons que les objets qui ont été volés, pillés, qui sont sortis de nos pays de manière illégale. Les musées, occidentaux comme africains, sont en accord avec ce qui est dit dans le code déontologique de l’ICOM. Il est dit que si un pays ou un peuple d’origine «demande le retour d’un objet et démontre que cet objet ou spécimen peut s’avérer avoir été exporté ou transféré en violation des principes de ces conventions et que cet objet fait partie du patrimoine culturel ou naturel de ce pays ou de ce peuple, le musée concerné doit, s’il lui est légalement possible de le faire, prendre rapidement des mesures pour coopérer au retour cet l’objet. » (article 4.4 de la cessation des collections) Si un musée achète un objet volé, il doit s’attendre à une demande de restitution de la part du pays qui a été privé de son bien. Il est vrai que durant l’époque coloniale, des expéditions militaires ont favorisé la dispersion hors du continent de notre patrimoine.
Afrik.com : Pouvez-vous donner des exemples d’expéditions de ce genre ?
Abdoulaye Camara : Citons juste deux cas : Les expéditions militaires de 1894 contre le royaume fon du Dahomey (actuel Bénin) qui permit à la France d’entrer en possession d’un butin connu sous le nom de « trésor de Béhanzin » ; ou celle de 1897 qui permit aux Anglais de faire main basse sur des réalisations artistiques et cultuelles accumulées depuis des générations (donc, parfaitement bien conservés) dans les royaumes de Bénin (Nigeria). Ces butins de guerre sont pourtant autant d’informations qui devaient illustrer l’histoire de ces peuples. Il est important de comprendre que ces objets sont indispensables pour perpétuer des identités culturelles et historiques. Ce que je dis est parfaitement en accord avec la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Dans un appel lancé par Amadou Mahtar Mbow, le 7 juin 1978, pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable, le Directeur Général de l’UNESCO, notait : « les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres… ». On peut le dire, la restitution est une reconnaissance de la souveraineté d’un peuple ou d’un pays sur ses biens indûment exportés.
Afrik.com : Pour quelles raisons certaines demandes de restitution ne sont pas acceptées ?
Abdoulaye Camara : Il faudrait que le musée africain puisse justifier que ces objets ont bien été sortis illégalement du pays. Comme je l’ai dis précédemment, les pays africains ne demandent la restitution que des objets volés ou acquis de manière frauduleuse. Malheureusement, dans certains musées africains, les objets ne sont pas toujours inventoriés et documentés et photographiés : donc on ne peut prouver les droits de propriété sur ces objets même s’ils sont retrouvés. Les Africains doivent faire un gros travail : protéger nos objets pour éviter qu’ils ne franchissent les frontières qui sont de vraies passoires. Il est important de sécuriser nos musées, de procéder à un inventaire systématique de nos collections et à leur documentation si nous voulons qu’en cas de vol, nous puissions demander une restitution.
Convention de l’UNESCO de 1970 Afin de trouver une solution aux vols de biens culturels dans les musées et les sites archéologiques, la « Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels » est signée en 1970. Ce n’est en 1987 qu’elle est officiellement adoptée par l’ONU avec la résolution 42/7. Au nombre des Etats signataires, on trouve notamment la France et le Royaume-Uni à qui les Etats du Sud demandent plusieurs pièces. Elle vise à prévenir le trafic illicite et à permettre le transfert de biens culturels sortis illégalement du territoire d’un Etat ayant ratifié l’accord. La Convention de 1970 demande principalement aux Etats : De mettre au point des mesures préventives (en mettant notamment en place des certificats d’exportation et des mesures de contrôle). L’article 5 stipule que les Etats doivent s’engager à instituer sur leur territoire « un ou plusieurs services de protection du patrimoine culturel ». De prendre des dispositions en matière de restitution : L’article 7 stipule que les Etats signataires doivent s’engager à « prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour empêcher l’acquisition, par les musées et autres institutions similaires situés sur leur territoire, de biens culturels en provenance d’un autre Etat partie à la Convention, biens qui auraient été exportés illicitement après l’entrée en vigueur de la Convention ». De renforcer la coopération entre les Etats signataires. Selon l’article 9, tout Etat ayant ratifié le texte, dont le patrimoine est en danger pour cause de pillages, peut en appeler aux pays concernés. |
Afrik.com : Que pensez-vous du postulat émis par des conservateurs occidentaux concernant l’incapacité des musées africains à conserver ces objets ?
Abdoulaye Camara : C’est très facile d’accuser et de rejeter la responsabilité sur les Africains eux-mêmes. L’Afrique a de vrais problèmes au niveau de la conservation de son patrimoine. Personne ne le nie. La destruction des sites et des vestiges archéologiques, les fouilles clandestines, le commerce de la culture matérielle, les vols dans les musées, sont des maux que les professionnels du patrimoine africain connaissent bien. Ce phénomène est amplifié par les conflits armés, la perméabilité des frontières, la corruption, la cupidité, l’ignorance de la valeur de ce patrimoine, la misère des populations, mais surtout l’absence des moyens de protection et de sensibilisation. Presque tous les pays africains sont concernés par le trafic et plusieurs sites sont inscrits sur une liste rouge publiée par l’ICOM. Même acquises par vol, le pillage, la conquête d’un pays souverain, certains occidentaux approuvent des opérations qui ont permis de sauver des œuvres condamnées – de fait- dès leur naissance en Afrique. Il est clair que les conservateurs du patrimoine ont du travail et le plus gros de ce travail est d’amener nos propres communautés à reconnaitre la valeur inestimable d’un patrimoine légué par les ancêtres ; d’un patrimoine qu’ils ont la charge de transmettre aux générations futures. Les Etats africains devraient faire de la culture une priorité en raison de sa fragilité, au lieu de quoi elle est délaissée au profit d’autres enjeux politiques ou économique. Les musées et leurs conservateurs ne sont pas toujours responsables de cette situation. Il faut le dire ! Ils font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur donne, le tout dans un contexte particulier, de pauvreté et d’indifférence de la majorité des populations non conscientes de la richesse et de la valeur de ce patrimoine. La lutte contre le pillage et le trafic illicite des biens culturels ne peut être du ressort que des seuls Africains. Aujourd’hui, un certain nombre de musées africains et leurs partenaires occidentaux travaillent sur la conservation des objets in situ et leur mise en valeur, sur la sensibilisation des populations, des gouvernements et des jeunes, qui sont les futurs protecteurs du patrimoine de demain. Personnellement, j’aurais voulu que la conservation du patrimoine soit un combat de tous les jours. Les médias africains devraient s’en préoccuper. Pour terminer, je dirai que c’est facile pour certains conservateurs occidentaux de dire que « ces gens sont incapables de conserver et de protéger ces objets. Nous leur rendons service en conservant ces objets nous-mêmes. ». Au nom de la morale et de l’éthique, pouvons-nous accepter et justifier l’acquisition d’un objet volé et le refus de restitution à son propriétaire légitime.
Afrik.com: Quelles sont les solutions selon vous ?
Abdoulaye Camara : La politique qui devrait guider les musées et les grandes institutions occidentales est le respect des conventions internationales, notamment celle d’UNIDROIT qui date de 1995 sur les biens culturels volés et illicitement exportés. Les musées ne devraient que dans un cadre légal, acheter ou recevoir en cadeau des objets ; et les vendeurs ou donateurs devraient posséder un titre de propriété ou être en mesure d’indiquer son acquisition et exportation. Aujourd’hui, dans le respect de la déontologie, il y a des musées occidentaux qui reconsidèrent des objets conservés dans leurs réserves et qui en cas de violation des principes de l’éthique et de la déontologie les retirent de leurs collections avant d’étudier les accords de restitution. Au mois de mars 2010, s’est tenu au musée du quai Branly un colloque sur « l’inaliénabilité des collections, performances et limites ? » L’inaliénabilité est un principe signifiant que les musées sont chargés de conserver et de transmettre ces collections aux générations futures. Cependant, quand on parle d’inaliénabilité, on ne doit pas refuser de parler de restitution. C’est ainsi que des mesures de déclassement existent. Il est bien important de comprendre que, pour nous Africains, l’enjeu n’est pas de récupérer tous les objets dispersés dans les musées occidentaux, ni de vider les réserves de ces musées. L’enjeu est tout simplement d’avoir accès aux objets de notre culture et qu’on nous les rétrocède en cas de violation des conventions nationales et internationales. Et s’il y a des pièces qui sont indispensables à notre identité et à notre histoire, il serait bon qu’elles nous soient restituées.
Afrik.com : Quel genre de pièces ?
Abdoulaye Camara : Il y a des objets qui ne méritent plus de figurer dans des réserves occidentales. Certains de ses objets ont été déclassés et rendus à leur pays d’origine. Je pense par exemple à Saartjie Baartman, plus connue sous l’appellation de la Vénus hottentote ; cette jeune dame d’Afrique du Sud, capturée et réduite en esclavage, avait été emmenée en 1810 à Londres pour y être exhibée et pour montrer au public ses particularités physiques. Conservée à sa mort en France dans les collections du Musée de l’Homme, une loi votée en 2002 a permis sa restitution à l’Afrique du Sud. Je peux conclure en citant un de mes amis, ancien conservateur du Musée d’Abidjan. Dans un propos rapporté dans l’ouvrage Patrimoine culturel africain publié par l’Université Senghor d’Alexandrie en 2001. Il dit, je cite : « Peu importe où se trouvent les grandes œuvres de la Côte d’Ivoire, elles continuent d’appartenir pour toujours au patrimoine de notre pays : ce que nous demandons aux musées qui en sont les dépositaires, c’est de les inventorier, de les conserver au mieux, de les documenter, de les montrer, de les expliquer, de les relier les uns aux autres, de les publier, tâches auxquelles nous autres, professionnels du patrimoine ivoirien, désirons et prétendons contribuer utilement… » . Il devrait pouvoir y avoir des passerelles entre ces musées qui détiennent le patrimoine africain dans le monde et les musées des pays d’origine. Cela pourrait permettre des échanges débouchant sur l’étude et une meilleure compréhension des œuvres.