
La condamnation à six mois de prison du militant des droits humains Fouad Abdelmoumni s’inscrit dans un contexte préoccupant de rétrécissement des libertés civiles au Maroc. Entre surveillance généralisée, arrestations arbitraires et répression des voix critiques, le royaume chérifien semble renouer avec des pratiques rappelant les « années de plomb« . Des organisations internationales dénoncent cette situation et appellent à une intervention des partenaires occidentaux du pays.
Le 3 mars dernier, le tribunal de Casablanca a condamné par contumace Fouad Abdelmoumni, militant marocain reconnu et coordinateur de l’Association marocaine de soutien aux prisonniers politiques, à six mois de prison et à une amende de 2 000 dirhams (environ 208 dollars). Cette condamnation intervient suite à une publication sur Facebook critique des relations franco-marocaines, faite durant la visite d’État du président français Emmanuel Macron.
Cette décision a immédiatement été dénoncée par Human Rights Watch et Democracy for the Arab World Now (DAWN), qui exigent l’annulation de la sentence et dénoncent « une répression grandissante contre les militants, journalistes et défenseurs des droits humains » au Maroc.
« Traîner un énième militant marocain devant un tribunal et le condamner à une peine de prison simplement parce qu’il a exprimé une opinion […] montre à quel point cette répression de la liberté d’expression est scandaleuse », affirme Balkees Jarrah, directrice par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW.
Une intensification méthodique de la répression
Cette condamnation n’est pourtant pas un fait isolé. Depuis plusieurs années, les autorités marocaines intensifient leurs actions à l’encontre des voix critiques, utilisant notamment des lois répressives héritées de périodes historiques où les libertés civiles étaient sévèrement restreintes. Abdelmoumni lui-même avait déjà été victime de détentions arbitraires et de torture en 1977 et 1982, sous le règne du roi Hassan II, périodes marquées par des disparitions forcées et des procès politiques arbitraires.
Fouad Abdelmoumni, coordinateur de l’Association marocaine de soutien aux prisonniers politiques, affirme être victime d’une surveillance constante via le logiciel espion Pegasus, dont le Maroc aurait fait usage massif entre 2019 et 2021, selon des enquêtes menées par Amnesty International et Forbidden Stories. La diffusion illégale de vidéos intimes en 2020, probablement issues d’un espionnage ciblé, avait déjà cherché à le réduire au silence en le discréditant publiquement.
Dans un contexte où la constitution marocaine garantit pourtant la liberté d’expression et de pensée, ces pratiques rappellent les années sombres des « années de plomb« , marquées par une répression systématique de l’opposition politique sous Hassan II. Malgré la volonté affichée par le roi Mohammed VI, arrivé au pouvoir en 1999, d’ouvrir le pays à une plus grande liberté politique, les récentes arrestations révèlent une réalité bien différente.
Ainsi, récemment encore, le journaliste Hamid Elmahdaoui a été condamné à 18 mois de prison et à une lourde amende pour avoir simplement évoqué un ministre dans une vidéo critique. De même, l’arrestation début mars 2025 de quatre membres de la famille du Youtubeur Hicham Jerando, basé au Canada, souligne une escalade inquiétante, allant jusqu’à s’en prendre à des proches pour étouffer toute critique envers les institutions.
La question du Sahara occidental, une ligne rouge persistante
Au Maroc, défendre les droits des Sahraouis reste une ligne rouge que peu osent franchir. À la tête de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Aziz Ghali brise ce tabou en portant un regard critique sur la situation dans les territoires occupés. Une position qui lui vaut critiques et pressions dans un pays où le consensus national sur la « marocanité » du Sahara occidental ne peut être remis en question.
« Les droits humains ne s’arrêtent pas aux frontières des conflits territoriaux », martèle Aziz Ghali. Sous sa direction, l’AMDH documente minutieusement les violations des droits humains dans les territoires sahraouis, malgré les obstacles administratifs et les campagnes de diffamation orchestrées par les autorités marocaines.

Près de 300 activistes et défenseurs des droits humains ont déjà signé une pétition demandant la libération d’Abdelmoumni et de tous les détenus politiques au Maroc et dans le reste du Maghreb. Ils appellent aussi le président Emmanuel Macron à user de son influence auprès du roi Mohammed VI afin de mettre un terme à ces abus flagrants.
La situation actuelle pose une question centrale : le Maroc, État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, peut-il continuer à ignorer les libertés fondamentales garanties par ses propres engagements internationaux ? Comme le rappelle Balkees Jarrah, seule « la fin de la répression des opposants » permettra d’aligner le discours officiel du Maroc, qui se veut progressiste, avec la réalité vécue par ses citoyens.