Une partie de la communauté afro-caraïbéenne s’est réunie vendredi soir place de la Nation à Paris pour commémorer la deuxième abolition de l’esclavage. Harry Rougè, membre de la Cofad, l’association instigatrice de l’événement, revient sur l’importance de cette commémoration et nous fait part des revendications concrètes du mouvement.
» Pour nos morts et nos parents ! » » Honneur et respect ! » Près de 200 personnes se sont donné rendez-vous vendredi place de la Nation à Paris pour commémorer la deuxième abolition de l’esclavage (rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte, il sera aboli de nouveau en 1848 par la deuxième République). A l’initiative de l’événement : le Collectif des filles et fils d’Africains déportés (Cofad). Harry Rougé, l’un des dirigeants du Cofad, explique la philosophie de la rencontre et témoigne des revendications concrètes du mouvement.
Afrik : Quelle est la philosophie de ce rendez-vous ?
Harry Rougè : Il s’agit d’une commémoration, non d’un anniversaire ou d’une fête. Une commémoration pour lancer une pensée à nos parents qui ont été victimes de ce crime odieux qui a duré 400 ans et qui continue à durer à travers nous, descendants d’Africains. Et comme nous sommes toujours victimes de cette traite négrière, il faut également que nous pensions à l’avenir. Nous devons trouver des solutions pour sortir de la nasse.
Afrik : Dans quelle mesure les filles et les fils d’Africains déportés sont-ils encore victimes de l’esclavage ?
Harry Rougè : On constate aujourd’hui que dès qu’on est africain ou d’origine africaine, on a du mal à trouver un travail, un logement, un poste qui corresponde à son niveau de compétence. On a plein de barrières invisibles. Cet état de fait n’est pas tombé du ciel. Il résulte de la déportation. Et ce système perdure aujourd’hui.
Afrik : Concrètement, quelles sont vos revendications ?
Harry Rougè : Nous allons continuer à lancer le processus de réparation. Puisque la République française a reconnu, en 2001, la traite négrière comme un crime contre l’humanité, il doit y avoir réparation. Comme autre action, nous souhaitons que les sociétés d’assurance, maritimes et autres ouvrent leurs archives, puisque beaucoup ont participé à cette traite négrière transatlantique et financé les armateurs. Leurs archives nous seraient très utiles pour mieux cerner le système et pour y puiser des informations historiques. Nous demandons également à ce que la ville de Paris érige un mémorial à la Place des Antilles. Un projet qui a été initié dès 1998 mais pour lequel nous n’avons toujours pas obtenu gain de cause.
Afrik : Quelle est pour vous l’importance d’un monument sur la place des Antilles ?
Harry Rougè : Il faut que l’on ait un lieu de culte. Un lieu de commémoration. Toutes les sociétés qui ont été soumises à des atrocités ont leur mémorial. Notre communauté a subi 400 ans d’ignominies et elle n’en a toujours pas.
Afrik : Qu’entendez-vous par réparations ?
Harry Rougè : Les réparations concernent la traite négrière et non l’esclave. Il ne faut pas confondre les deux. Toute communauté a connu l’esclavage. Le Blanc a fait esclave le Blanc, le Blanc a fait esclave le Noir, le Noir a fait esclave le Noir, et le Noir aussi a fait esclave le Blanc. La traite est spécifique aux Noirs. C’est chaque femme noire et chaque homme noir qui ont subi ses conséquences. C’est chacun de nous, de manière individuelle, qui doit demander réparation. Si l’on veut une réparation morale, qu’on la demande, si l’on veut une réparation matérielle qu’on la demande, on peut aussi ne rien demander, mais nous sommes chacun en face du bourreau. A chacun, individuellement, de se rapprocher des différents regroupements d’Africains ou de descendants d’Africains en fonction de tel ou tel type de revendication.
Afrik : Si chacun y va de sa propre revendication, cela ne risque-t-il pas de devenir une cacophonie qui ne ferait, en somme, pas avancer les choses ?
Harry Rougè : Plus on est regroupé, plus on a de poids. Il n’y a que trois cas de figure. Les réparations matérielles, les réparations morales -comme des ouvrages – ou pas de réparations du tout. Mais il ne faut pas qu’il y ait de barrière par rapport aux propres revendications de l’individu.
Afrik : Incluez-vous l’Afrique dans votre combat ?
Harry Rougè : Les Antillais sont des descendants d’Africains. Il ne faut pas que l’on tombe dans les pièges que nos bourreaux nous ont tendus. Ces pièges, ce sont deux grandes cases : l’Afrique et les Antilles. Et dans la case Antilles, il y a des sous-cases : Martinique, Guyane, Guadeloupe, Réunion. C’est la même chose pour l’Afrique avec le Bénin, le Congo, l’Ethiopie… Chacun revendique sa » différence » au sein de ces deux grandes cases. Au final, on ne se sent pas concerné de manière collective. Il faut transcender tout cela. Nous sommes, aux Antilles, des Africains déportés.
Afrik : Quand vous parlez de bourreaux, quels sentiments gardez-vous exactement à l’égard des Blancs ?
Harry Rougè : C’est vrai que le mot bourreau est un terme très fort, mais il ne faut pas oublier que le crime qu’ils ont commis n’est pas moins faible. Il n’y a pas de haine contre le Blanc. Il y a des Blancs qui sont plus virulents que moi. Il y a des Blancs qui, pendant cette période difficile pour nous, ont défendu et aidé les Africains. Ce n’est pas une question de couleur. Tout individu qui est juste au fond de lui-même doit se mettre de notre côté pour que nous obtenions réparation.
Afrik : Ne s’agit-il pas avant tout d’une quête d’identité ?
Harry Rougè : Tout à fait. Toute notre histoire a été balayée. Nous n’avons pas de rétroviseurs. C’est à nous de permettre à nos enfants de retrouver ces rétroviseurs pour qu’ils puissent mieux avancer.
Afrik : Pensez-vous qu’il y a un trou de mémoire dans la communauté afro-caraibéenne ?
Harry Rougè : Le trou de mémoire a surtout été créé par les administrations coloniales. Souvenez-vous, il y a peu de temps encore, on disait à nos parents à l’école que les Gaulois étaient nos ancêtres…