Les promesses formulées lundi par le président Zine el Abidine Ben Ali n’ont eu aucun effet sur les jeunes tunisiens en colère. Mardi, les émeutes se sont poursuivies dans plusieurs villes du pays, et ont même atteint Tunis, la capitale. Le soulèvement populaire aurait déjà fait 21 morts ces trois derniers jours, selon gouvernement, et une cinquantaine de source syndicale.
Maintenant Tunis. Mardi soir, de violents affrontements ont opposé manifestants et forces de l’ordre dans la cité populaire d’Ettadhamoun, située à 15 km à peine du centre de la capitale tunisienne. Des groupes de jeunes manifestants ont brûlé un autobus et saccagé des commerces, une banque, et la route qui conduit à Bizerte a été barrée à hauteur de la cité populaire, selon des habitants du quartier. Ils ont été dispersés par la police qui a fait usage de gaz lacrymogènes. Selon une femme interrogée par l’AFP, des coups de feu ont été tirés, mais elle n’a pas pu déterminer s’il s’agissait de balles réelles. Un journaliste de Reuters et plusieurs témoins ont vu les forces de l’ordre tirer en l’air dans un faubourg de Tunis en guise d’avertissement pour tenter de «disperser» la foule qui s’attaquait à des édifices publics.
Plus tôt dans la journée, d’autres manifestations, moins violentes, avaient été réprimées par la police. Parmi elles, celles d’artistes et d’opposants dont les comédiennes Raja Amari et Sana Daoud qui, selon l’AFP, ont été frappées par des policiers en uniforme et en civil. Ces manifestations, la presse nationale n’a pas eu l’autorisation de les couvrir. Une centaine de journalistes tunisiens avait d’ailleurs appelé mardi à protester pour « libérer la presse ». Mais ils n’ont pas pu mettre à exécution leur projet. « Nous avons été empêchés par la police de sortir dans une manifestation pacifique pour apporter notre soutien à nos compatriotes en proie à la répression », a déclaré à l’Associated Press Néji Bghouri, le président déchu du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). Cantonnés dans les locaux du SNJT à Tunis, ils y ont improvisé un sit-in au cours duquel ils ont scandé des slogans revendiquant la liberté de la presse, la libération des personnes arrêtées et plaidé pour l’ouverture d’une « enquête indépendante pour déterminer les responsabilités des violences ».
Bain de sang à Kasserine
Les forces de l’ordre avaient été massivement déployées mardi dans plusieurs villes du centre-ouest, particulièrement remuantes ces derniers jours. Une démonstration de force qui semble avoir porté ses fruits à Thala, Seliana, Kasserine, Regueb et Meknassi, où aucune émeute nouvelle n’a été rapportée dans l’après-midi. Dans la nuit de lundi à mardi, après le discours présidentiel, des violences avaient éclaté dans ces localités, ainsi qu’à Gafsa, mais elles ont été réprimées par la police.
Mardi matin, Sadok Mahmoudi, membre de la branche régionale de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), a évoqué, interrogé par l’AFP, une situation de « chaos » à Kasserine, principale ville du centre, et un bilan de plus de 50 morts les trois derniers jours où les forces de l’ordre auraient même employé des snipers. Débordé et choqué, le personnel médical de l’hôpital de la ville a même débrayé durant une heure en signe de protestation, face au nombre de « cadavres éventrés, à la cervelle éclatée » et de blessés, selon un fonctionnaire local ayant requis l’anonymat.
Des manifestants à Kasserine ont attaqué des postes de police avec des barres de fer et des cocktails Molotov et les policiers ont répliqué, a confirmé le ministère de l’Intérieur, qui n’a pas précisé la nature de cette réplique. Mardi soir, lors d’un point de presse, Samir Laabidi, ministre de la Communication, a annoncé que le bilan gouvernemental des émeutes de ces trois derniers jours est de 21 morts.
La Tunisie est toujours sur des charbons ardents alors que lundi soir, dans un discours télévisé, le président Zine el Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, qualifiant les violences d’ « actes terroristes (…) dirigés par des éléments étrangers », a promis de favoriser la création de 300 000 emplois en deux ans. Des propos restés sans effet sur la jeunesse en colère, qui depuis le 17 décembre dénonce la pauvreté et le chômage de masse.
Depuis mardi, sur ordre du gouvernement, les établissements scolaires et universitaires sont fermés dans tout le pays «jusqu’à nouvel ordre».