La Convention pour le commerce international des espèces en danger montre du doigt l’Afrique du Sud. La chasse au léopard, au rhinocéros blanc et à l’éléphant devrait y être très sévèrement réglementée. Levée de bouclier des autorités, des chasseurs et même des Ong autour d’un enjeu économique majeur.
Une fois de plus, l’Afrique du Sud est montrée du doigt pour son amour de la chasse. La Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (Cites) vient de rappeler à l’ordre ce mauvais élève. » La législation sud-africaine comporte trop de lacunes « , a simplement déclaré son délégué, Markus Burgener, mardi dernier, au ministère de l’Environnement. Une attaque en règle du sport national sud-africain. Les autorités ont jusqu’à mars 2003 pour prendre des mesures. Si elles acceptent de se plier aux injonctions de la Cites, la chasse à l’éléphant, au léopard et au rhinocéros blanc notamment, sera sévèrement réglementée pour les touristes. Problème : en Afrique du Sud, la chasse n’est pas seulement une tradition, c’est aussi un énorme enjeu environnemental et économique.
Surpopulation animalière
» Si vous prenez le Big Kruger National Park par exemple, une Ong a fait pression pour que l’on arrête d’y chasser les éléphants. Aujourd’hui, la réserve, qui peut accueillir jusqu’à 7 000 pachydermes, en contient presque le double. Il y a surpopulation : les éléphants n’ont plus assez à manger et mettent en danger les autres espèces du parc ! » explique Stoffel De Jager, responsable de la chasse au Département de la conservation de la nature de la province du Kwazulu-natal. Son bureau essaye de promouvoir le safari photo et la chasse au fusil à balles paralysantes (pour éviter de tuer les animaux), mais il ne peut éluder la question de la surpopulation animalière dans certaines régions.
C’est d’ailleurs l’argument numéro un des chasseurs professionnels. Au Phasa (Association des professionnels de la chasse en Afrique du sud), le professeur Duplessis, ancien chasseur professionnel et chercheur, insiste lourdement sur ce point. » On ne peut pas réglementer la chasse de cette façon. Dans une ferme, vous avez besoin d’un buffle pour quinze bufflonnes. Si vous gardez tous ceux qui naissent, les animaux mangent toutes vos plantes et votre terre se désertifie. » L’argument n’est pas oiseux, surtout concernant les régions du Nord. Il masque cependant un enjeu économique lourd pour les chasseurs professionnels et pour l’économie nationale.
L’or de la chasse
Près de 4 000 chasseurs professionnels sont enregistrés au ministère de l’Environnement. Seuls 1 000 d’entre eux n’ont que cela comme activité, mais, au vu des prix pratiqués, même à mi-temps, la chasse reste un complément très lucratif. La chasse à l’oryx ou au nyala, par exemple, coûte aux alentours de 1500 dollars pour un safari d’une semaine. Et c’est encore la chasse au rhinocéros, au léopard ou à l’éléphant – à partir de 850 dollars par jour – qui rapporte le plus. Sont compris dans les tarifications : l’accompagnement par des chasseurs professionnels, l’hébergement et surtout – la taxidermie du trophée.
Les recommandations de la Cites visent aussi à interdire cette pratique qui consiste à ramener la tête de l’animal. Or, si les chiffres restent confidentiels sur la manne que représente l’industrie de la chasse en Afrique du Sud, on sait qu’il s’agit d’un marché de plusieurs milliards de rands, dont 600 millions rien que pour le Kwazulu Natal…En plus des chasseurs et des guides, la chasse serait à l’origine de plus de 10 000 emplois, de l’hôtellerie à la taxidermie. Un juteux marché que mettrait à mal une législation trop contraignante.
Chasser » éthique «
Saliem Fakir, de l’Union mondiale pour la Nature, l’une des plus importantes Ong environnementales présentes en Afrique du Sud et membre de la Cites, se prononçait récemment dans les colonnes du Daily Mail and Guardian pour une chasse » éthique « . De fait, chasseurs professionnels, membres du gouvernement et Ong s’accordent pour un encadrement des pratiques plutôt que pour la protection absolue de certaines espèces. » La chasse est un marché trop important pour l’Afrique du Sud pour que l’on puisse prendre des mesures d’interdiction brutales. Mais ses formes les plus dégénérées doivent être proscrites « , nuance Saliem Fakir.
Dans ce contexte, les chasseurs professionnels ne seraient peut-être pas les véritables fauteurs de troubles. » La chasse à cour pratiquée sauvagement par les Sud-africains nuit énormément à l’environnement. Des éleveurs de chiens partent avec 100, parfois 200 chiens et tuent tout ce qui bouge dans les régions du Cape, de Mpumalanga et du Kwazulu. C’est cette pratique, ainsi que le braconnage des pauvres gens qui tuent les animaux pour se nourrir dans les régions du Kwazulu, qui présente un réel risque écologique « , déplore encore Stoffel De Krager.
La Cites se serait-elle trompé d’ennemi ? L’Afrique du Sud semble être un cas d’espèce en regard des réglementations que la Convention internationale tente de faire respecter. Cependant, si ses recommandations prennent effet, les amateurs de safaris qui voudraient ramener un trophée dans leur pays pourraient se voir infliger de lourdes amendes. Et le tourisme sud-africain prendre du plomb dans l’aile.