La chasse aux Pokemons, folie inoffensive?


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arton55679

Il fut un temps où l’on regardait comme de doux dingues les passionnés qui parcouraient les champs et les bois, un filet à la main, pour capturer des papillons. On les retrouve soudain d’un bout à l’autre de la planète, smartphone en main, explorant fiévreusement tous les horizons pour y découvrir des « Pokemons ».

Il existe en apparence peu de différence entre l’aimable chasseur de papillons poursuivant avec son modeste filet de petits animaux ailés, et le rêveur absorbé qui marche en tous sens son smartphone en main pour découvrir d’infimes êtres virtuels numériquement glissés dans le monde qui l’entoure. Même démarche absente, mêmes affolements soudains, mêmes triomphes fugaces.

Au moins pouvait-on excuser la douce folie des chercheurs d’ailes multicolores en prétextant leur apport éventuel à la connaissance des espèces, par la découverte de variétés nouvelles, de papillons exceptionnels, de mutations génétiques inattendues. Ils passaient beaucoup de temps à identifier et à classer dans des albums savants, nourris de noms latins, leurs fragiles butins, si prompts à perdre leurs précieuses couleurs.

Leurs avatars contemporains ne s’intéressent plus à l’inventaire de la nature et du réel. Il faut dire que l’usage des insecticides et des désherbants divers a décimé les papillons, dont l’hécatombe a rendu la rencontre plus rare désormais. Pas grave, on se passera des papillons : les chasseurs de Pokemons sont entièrement emportés dans le virtuel.

Emportés dans le virtuel

Car ces créatures n’ont de réalité que par l’illusion numérique qui leur donne une existence. La réalité numérique est bonne fille : plusieurs chasseurs peuvent capturer la même créature irréelle. Elle est inépuisable : l’imagination la plus débridée préside à leur fabrication. Elle est infinie : le jeu ne peut pas s’arrêter faute de gibier, puisqu’il se régénère à volonté.

Mieux même pour pimenter le songe collectif où les chasseurs de Pokemons sont plongés, il est possible de faire combattre entre elles ces créatures qui une fois capturées peuvent s’affronter dans des duels à la fois sanglants et factices dont elles sortent lessivées, ou vidées de leur vie provisoire et limitée. On a déjà vu des chasseurs de Pokemons éplorés jeter à terre leur onéreux smartphone pour se venger de l’irrémédiable perte d’une de leurs conquêtes virtuelles.

Ainsi la mondialisation n’est-elle pas seulement mondialisation des communications, des capitaux, des marchés, des images : c’est aussi la mondialisation du divertissement. Toute la planète est entraînée dans la même folie ludique, apparemment inoffensive. On peut se demander pourtant si cette fuite hors du réel n’est pas aussi profondément nocive que la démence des intégristes religieux ou les délires spéculatifs des financiers. Car elle traduit la même tendance du nouvel âge de l’humanité où nous sommes entrés : le refus de la réalité, l’indifférence à son prochain, l’abandon d’un monde usé. Mais pourra-t-on vraiment habiter le virtuel?

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