Des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes du Sénégal aussitôt la validation de la candidature d’Abdoulaye Wade à un troisième mandat proclamée par le Conseil constitutionnel. Bilan : un policier tué.
Nouvelle nuit de violences au Sénégal. La validation vendredi soir de la candidature d’Abdoulaye Wade à la présidentielle du 26 février 2012 par le Conseil constitutionnel a embrasé plusieurs villes du pays dont la capitale Dakar. Contacté par l’AFP, le commissaire Arona Sy, du commissariat central de Dakar, annonce un mort dans les rangs de la police.
C’est aux alentours de 21h30 que le verdict tant attendu du Conseil constitutionnel est tombé. Reclus sous haute protection policière dans une villa perdue au milieu des Almadies, le quartier chic de Dakar, les cinq sages ont délibéré toute la journée. Dehors, une vingtaine de journalistes attendaient leur décision sous l’œil amusé du voisinage. C’est que, depuis des mois, la question de la légalité de la candidature du chef de l’Etat cristallise le débat politique au Sénégal. Remaniée en 2001 sous l’impulsion de Wade, tout juste élu à la Présidence du pays, la Constitution stipule que le mandat présidentiel « est renouvelable une seule fois ». En août, cinq éminents constitutionnalistes sénégalais estiment que cette disposition s’applique au président candidat. La riposte du pouvoir ne se fait pas attendre. En novembre, l’Etat fait venir à grands frais des juristes étrangers pour défendre la position du président sortant lors d’un séminaire.
La question semblait pourtant avoir été tranché depuis longtemps par le principal intéressé lui-même. Interrogé par un journaliste de RFI sur une éventuelle candidature en 2012 au lendemain de sa réélection en 2007, Wade avait clairement expliqué avoir « bloqué » le nombre de mandats à deux. « Je ne peux pas me représenter, avait-il dit. La Constitution me l’interdit. » Deux ans plus tard, il annonce pourtant son intention de briguer un troisième mandat. « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, se justifie alors Wade. Ma waxoon waxeet (« Je l’ai dit, je me dédis »).
« Wade ne peut pas être candidat. Il ne le sera pas ! »
Hier, alors que l’attente perdure devant le Conseil constitutionnel, environ 5.000 personnes sont rassemblées place de l’Obélisque dans le quartier populaire de Colobane à l’appel du M23, qui regroupe les partis de l’opposition, la société civile et le mouvement « Y en a marre ». Dans la soirée, les dirigeants de l’opposition se succèdent à la tribune. « Je ne suis pas venu ici pour attendre le verdict du Conseil constitutionnel, annonce Abdoulaye Bathily de la Ligue démocratique (LD). Le peuple a déjà donné son verdict. Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat. Il ne le sera pas ! ». Candidat sérieux à la succession de Wade, Macky Sall de l’Alliance pour la République (APR) s’adresse lui directement au président sortant. « Si vous persistez, il vous arrivera ce qui arrive aux dictateurs. Il faut occuper la rue, défendre la république et défendre la constitution. » « Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout, poursuit Ousmane Tanor Dieng du parti socialiste, Aujourd’hui, le combat c’est pour que Wade dégage ! »
Dès l’annonce de la validation de la candidature d’Abdoulaye Wade pour un troisième mandat, la nouvelle se propage comme une traînée de poudre dans le public. Des jeunes déterminés à en découdre avec les forces de l’ordre massées en grand nombre un peu plus loin s’emparent de pierres. Les forces anti-émeutes ripostent à coups de matraque et de grenades lacrymogènes. L’air devient vite irrespirable. Partout, les jeunes élèvent des barricades et incendient des pneus. Des courses-poursuites s’engagent dans les rues adjacentes à la place avant de se répandre dans de nombreux quartiers de la capitale. Les villes de Thiès, Mbour ou Kaolack ne sont pas en reste.
Sur la Radiotélévision sénégalaise (RTS), la chaîne d’Etat, Abdoulaye Wade appelle l’opposition à accepter le verdict rendu par le Conseil constitutionnel et a tourné la page. « Arrêtons les manifestations d’humeur qui ne servent à rien », lance-t-il estimant qu’il faut laisser au peuple la « légitimité » de choisir lors des élections. « Je ne me suis jamais attendu à autre chose que le droit, le droit a été dit », a-t-il conclu.
Après une nuit d’émeutes, un calmé précaire règne sur Dakar. Un très important dispositif sécuritaire est présent autour du Palais présidentiel et toute la ville est quadrillée. Les ténors de la contestation doivent se réunir dans un lieu tenu secret dans la journée. L’opposition a d’ores et déjà prévenu de son intention de « marcher sur le palais » dans les prochains jours afin d’en « sortir Wade ».