
Le rendez-vous était très attendu. Mais les négociations directes entre le gouvernement congolais et l’AFC/M23, prévues à Luanda ce mardi 18 mars, n’auront finalement pas lieu. Le mouvement rebelle a annoncé son retrait de l’ouverture des pourparlers, en réaction à une série de sanctions décidées la veille par l’Union européenne et visant plusieurs de ses dirigeants ainsi que des hauts gradés de l’armée rwandaise. Une décision largement impulsée par la Belgique, au risque d’attiser un peu plus les tensions dans la région des Grands Lacs.
Leur calendrier paraît pour le moins hasardeux. L’Union africaine, comme plusieurs capitales de la région, dont Nairobi, Dodoma et Harare, avaient plaidé pour le report des sanctions, estimant qu’il fallait donner une chance à la médiation angolaise. Elles n’ont pas été entendues. Lundi 17 mars, l’Union européenne a ciblé neuf personnes, dont le chef politique du M23, Bertrand Bisimwa, ainsi que trois hauts responsables de l’armée rwandaise, Ruki Karusisi, Eugène Nkubito et Pascal Muhizi. Le directeur général de l’Office rwandais des mines, Francis Kamanzi, figure également sur la liste.
Kinshasa utilise les élus belges d’origine congolaise
Kinshasa réclamait ces mesures depuis des mois, mais ne semble aujourd’hui qu’à moitié satisfaite, réclamant des « sanctions plus robustes ». Félix Tshisekedi a pu compter sur l’appui déterminant de la diplomatie belge. À Bruxelles, ce sont plusieurs députés belges d’origine congolaise, particulièrement actifs dans les rangs du parti Les Engagés, celui du ministre belge des Affaires étrangères Maxime Prévost, qui ont fait pression en ce sens. «Leur motivation réelle et les moyens dont ils disposent soulèvent des questions», note un ancien ambassadeur européen. Certains vont plus loin et évoque un «lobbying intéressé». «Kinshasa est réputée pour ses prodigalités, particulièrement ici en Belgique, et est très généreuse avec ceux qui l’écoutent», grince un ex-ministre belge qui évoque ouvertement «des problématiques de corruption». C’est ainsi que Bruxelles a accentué la pression sur Kigali, quitte à franchir certaines lignes, rompre les équilibres traditionnels et fracturer un processus diplomatique fragile.
Erreur stratégique de l’AFC/M23 ?
Quelques heures seulement après l’annonce officielle des sanctions, l’AFC/M23 a indiqué qu’il se retirait des négociations. Le mouvement rebelle a publié un communiqué dénonçant une «volonté délibérée de saboter les efforts de paix en République démocratique du Congo», de même qu’une attitude «incompréhensible et ambiguë» de la communauté internationale. «La tenue des pourparlers est devenue impossible», conclut le texte. Pourtant, plusieurs observateurs s’interrogent sur la pertinence de cette décision. «L’AFC et le M23 ont peut-être commis une erreur stratégique», analyse un diplomate basé à Nairobi. «Il aurait été plus habile d’envoyer sa délégation à Luanda et de dénoncer ces sanctions sur place. Ce retrait donne l’image d’un refus du dialogue, ce qui pourrait se retourner contre eux.»
Ancien ambassadeur de l’Union européenne en RDC, Jean-Marc Châtaigner ne dit pas autre chose : «Les sanctions de l’Union européenne n’interdisaient nullement l’accueil en Angola d’une délégation du mouvement rebelle M23. C’est un mauvais prétexte pour échapper à la pression de la négociation diplomatique pour trouver une solution de paix en RDC.» Dans ce jeu de dupes, qui veut vraiment la paix?
La Belgique pointée du doigt
En Belgique, le rôle moteur de la diplomatie dans ce dossier fait débat. Certains, au sein même de l’appareil d’État, s’interrogent sur l’opportunité d’avoir poussé aussi fermement une ligne dure. Maxime Prévost, chef de la diplomatie, a réagi à la rupture des relations diplomatiques annoncée par Kigali, déplorant une «décision disproportionnée» de la part du Rwanda et promettant des «mesures de réciprocité». Mais pour de nombreux analystes, Bruxelles s’est laissée entraîner dans un affrontement dont elle pourrait sortir affaiblie. « La Belgique a fait cavalier seul », résume un haut fonctionnaire européen. «Elle a entraîné l’Union européenne dans une décision qui n’est ni à son avantage ni à celui de la région.» D’autres rappellent, à l’instar de ce sherpa d’un ministre des affaires étrangères européen, que «Bruxelles a été la première capitale occidentale à se précipiter pour reconnaître la victoire de Félix Tshisekedi lors de la présidentielle de 2023, dont chacun sait qu’elle est le produit de la fraude». Et de poursuivre : «on n’entend jamais la Belgique dénoncer la mauvaise gouvernance, certains massacres comme à la prison de Makala (qui aurait fait près de 2000 morts, NDLR…) ou encore les projets de modification de la Constitution pour permettre à M. Tshisekedi de se maintenir au pouvoir», peste ce diplomate pour qui «Bruxelles apparait plus en défense du gouvernement congolais que de la population congolaise ». Sauf qu’il n’est pas certain que la stratégie de Tshisekedi et de ses soutiens belges soit la plus réaliste, tant il se pourrait bien qu’en retardant encore le processus de paix il ne l’aborde pas en meilleure posture, au contraire.
Le communiqué du Rwanda annonçant la rupture des relations entre Kigali et Bruxelles est venu remuer le couteau dans la plaie. Dénonçant les «tentatives pitoyables de la Belgique de maintenir ses illusions néocoloniales», il entend marquer une rupture nette. Depuis plusieurs semaines déjà, le Rwanda avait mis fin à la coopération au développement avec Bruxelles, pointant une «campagne agressive, aux côtés de la RDC». Le divorce est désormais tranché.
Et maintenant ?
Dans la région, les présidences sont unanimes pour dénoncer au mieux une « maladresse », au pire une « ingérence contre-productive ». « Les problèmes de la RDC doivent être réglés d’abord par les Congolais d’abord, ensuite par la sous-région et enfin par le reste des Africains, mais pas ailleurs », tranche un ministre de la SADC. La Belgique déconsidérée, les cartes pourraient être rebattues au niveau de l’Union européenne où nombreux sont ceux à souhaiter qu’un autre pays reprenne le dossier en main.
Les regards se tournent tout particulièrement vers Paris qui semble mieux placée pour appréhender un dossier qu’Emmanuel Macron, malgré l’Ukraine qui demeure sa priorité à l’international, suit de près. Le président français est d’ailleurs régulièrement en contact tant avec Félix Tshisekedi qu’avec Paul Kagame. «L’important, c’est de soutenir les médiations africaines, tant au niveau de l’UA, que de l’EAC-SADC et de l’ECC-CENCO», glisse un conseiller élyséen qui entend prendre le contrepied de la Belgique, se gardant de toute volonté de régler le dossier de manière « offshore », c’est-à-dire déconnectée du terrain et de ses réalités.
En attendant, la situation demeure précaire. Sur le plan militaire, les rebelles poursuivent leur avancée sans rencontrer grande résistance en direction de Walikale avec, en ligne de mire, semble-t-il, Kisangani. La médiation angolaise, elle, est au point mort et le climat diplomatique plombé. L’initiative européenne, censée appuyer le processus de paix, se retrouve désormais accusée d’avoir, au contraire, contribué à le torpiller.