Souvent ignorée, la bande dessinée africaine existe belle et bien. Au musée du Quai Branly, à Paris, se sont tenues trois journées de rencontre autour du 9ème art en Afrique, du 4 au 6 février. Sous la direction du spécialiste Christophe Cassiau-Haurie, un panorama de cet art populaire a été dressé.
«La BD ne se porte pas bien sur le continent noir», a déclaré vendredi Christophe Cassiau-Haurie, conservateur de bibliothèque et spécialiste de la bande dessinée du sud. «Beaucoup de gens ont du mal à percevoir la bande dessinée africaine. Pour la plupart d‘entre eux, le 9ème art s’arrête souvent aux limites de la Méditerranée. Même des spécialistes ont bien du mal à donner un nom d’auteur africain», a-t-il expliqué. Il y a beaucoup d’artistes mais peu d’œuvres. La priorité est que la BD africaine trouve son public et cesse d’avoir les yeux tournés vers l’Occident pour qu’une bande dessinée africaine émerge.
Quatorze pays africains vont fêter cette année leurs 50 ans d’indépendance. Coïncidence, c’est aussi le cinquantième anniversaire de la première bande dessinée parue en Afrique, Le curé de Pyssaro de la togolaise Pyabélo Chaold. Si les auteurs sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à tenter leur chance en Occident, peu d’albums édités dans le Sud traversent les frontières. «En Europe, les éditeurs ne prennent pas le risque d’éditer des BD africaines qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir vendre», a analysé Alain Brezault, critique et journaliste.
L’aventure Kin Label
Pour mieux promouvoir la BD, certains bédéistes se sont regroupés dans des associations. De plus, des ateliers ont été crées en vue d’apprendre aux jeunes artistes les bonnes techniques. Un espoir pour le 9ème art en Afrique, Kin label est une revue unique en son genre créée en 2007 à Kinshasa. Elle cherche à réunir des artistes dans un numéro commun.
C’est sous la demande de la communauté européenne que Kin label a vu le jour, afin de faire connaître des artistes talentueux restés dans l’ombre. Avec l’aide d’ONG comme la Croix Rouge, un atelier a été mis en place pour que les artistes soient plus facilement édités. Cette année, un album est prévu sur le thème de l’anniversaire de l’indépendance du Congo. L’association aide ainsi à résoudre les problèmes économiques auxquels sont confrontés les auteurs.
L‘expérience sud-africaine
« Étonnante particularité de l’Afrique du Sud, les librairies regorgent de comics américains, de classiques franco-belge et même de mangas. On ne trouve presque aucune bande dessinée sud-africaine native », a observé Catherine Ferreyrolle, responsable de la bibliothèque de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême. Mais dans les années 90, un courant alternatif a vu le jour et Anton Kannemeyer (alias Joe Dog) et Conrad Botes, deux têtes pensantes sud-africaine, ont crée la revue Bitterkomix.
Avec des dessins provocateurs, parlant de sexe et de racisme, les deux dessinateurs ont fait l’objet de scandales lorsqu’ils ont publié les premiers numéros en 1992, deux ans après la libération de Nelson Mandela. Quinze numéros plus tard, la portée de Bitterkomix reste marginale. Éditée seulement à un millier d’exemplaires et mal diffusée, elle a néanmoins permis à ses auteurs d’acquérir la reconnaissance des milieux artistiques et de trouver des éditeurs à l’étranger. En France, « L’Association 2000 » publie cette année une des signatures de Bitterkomix.
Dessiner l’Afrique
Exception dans le marasme de la bande dessinée africaine, l’hebdomadaire ivoirien Gbich! tiré à quelques 40 000 exemplaires. Et ce depuis 500 numéros. Avec environ 15 dessinateurs à temps complet, Gbich! a un poids économique et culturel indéniable à Abidjan. Lassane Zohoré, auteur de BD et créateur de la revue a affirmé que le « magazine séduit la population qui se rue dessus à chaque publication ».
Les pays anglophones ont bien plus d’artistes que les pays francophones. Au Kenya, des conférences et des concours sont organisés comme en Occident. Tel est le cas de Kenyattoons. Mais la bande dessinée est un medium qui dérange la politique dans bien des cas. Au Swaziland, par exemple, les autorités interdisent la publication.
« Le travail des dessinateurs africains est trop inspiré par les mangas et le monde occidental. Je leur conseille de trouver leur propre style et de parler d’Afrique », a suggéré Joost Pollmann, commissaire de l’exposition Picha en Hollande. Écrire des histoires sur l’Afrique devient un combat permanent. Peu connue, la bande dessinée africaine se développe, se cherche et cherche à livrer au mieux une vision juste du continent.