C’est par instinct de survie que certains des « Haïtiens (qui) sont des combattants, capables de se tirer d’affaires là où d’autres se suicident » ont annoncé leur volonté de retourner en Afrique leur terre natale.
Dans cette interview exclusive très émouvante pour sa sincérité, le journaliste, photographe reporter, Eugène L. (39 ans), qui nous avait écrit pour entrer en contact avec les autorités sénégalaises pour le retour de 25 de ses compatriotes en Afrique à la suite de notre article reprenant la déclaration du Président Wade d’accueillir au Sénégal des Haïtiens qui le désirent à la suite du séisme dévastateur du 12 janvier dernier, dit ce qu’il attend des Chefs d’Etat africains qui se réuniront à Addis du 31 janvier au 2 février 2010. Il explique par ailleurs la situation plus que catastrophique du peuple d’Haïti après le séisme et la désarticulation de l’aide apportée à ce pays et comment y remédier. Contacté au téléphone et par email, Eugène s’explique par ailleurs sur une probable intégration d’Haïtiens au Sénégal et ailleurs en Afrique.
Pourquoi avez-vous répondu favorablement à l’offre du Président Wade d’accueillir des Haïtiens au Sénégal à la suite du séisme du 12 janvier ?
« La raison qui nous pousse à être intéressée par l’offre du président du Sénégal est évidente. Nous n’avons jamais eu l’impression de vivre dans un pays auquel nous appartenons. Tout en Haïti semble lier à la culture du peuple, du mystique au religieux, pourtant les difficultés auxquelles la nation doit faire face donnent l’impression qu’une force quelconque est en train de pousser le dos des haïtiens. Il ne se dégage pas de la vision des dirigeants une nette volonté de rebâtir le pays, de déplacer la capitale et d’offrir un nouveau départ au pays. Tout compte fait et compte tenu de la récurrence des catastrophes de tout ordre dont le pays est victime, notre instinct de survie nous ordonne de quitter notre cher Haïti. Rien ne nous y condamne d’ailleurs. Il y a quelque temps, on croyait que l’avenir se cachait derrière l’horizon, mais aujourd’hui tout notre espoir et nos rêves se sont effondrés et emportés par ce fameux séisme de magnitude 7 qui a ravagé le pays.»
Faites-vous confiance à Abdoulaye WADE, ne pensez vous pas que ce n’est qu’une déclaration d’un homme politique ?
« Nous ne prétendons pas connaître le président pour lui faire confiance. Notre histoire ne nous permet pas non plus de faire confiance aux hommes politiques et aux politiciens. Bien évidemment, nous lui accordons le bénéfice du doute. Les Haïtiens sont des combattants, c’est-à-dire de rudes travailleurs, capables de se tirer d’affaires là où d’autres se suicident. Donc, avec peu de moyens nous saurons nous défendre, c’est-à-dire nous adapter. Pour aller au Sénégal, nous avons d’abord demandé des informations que nous attendons encore. Il nous faut un minimum requis pour finaliser le processus. Je suis intéressé dans la mesure où les conditions de notre satisferont à nos attentes. »
Me Wade veut aussi soumettre son idée au prochain sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine (UA) qui se tiendra à Addis Abeba. Quel est votre message aux leaders africains ?
« Nous croyons que cette décision du président sénégalais relève de la sagesse dans la mesure où les anciens esclaves partaient de plusieurs pays d’Afrique dont le Sénégal. Si la décision d’accueillir des Haïtiens est endossée par l’Union africaine l’impact sera d’autant plus positif que chaque haïtien, ayant décidé de retourner en Afrique, pourra le faire en fonction de son affinité pour un pays du continent africain qu’il aura pris le temps de choisir. L’insertion et l’intégration d’une communauté haïtienne au sein du peuple sénégalais doivent faire l’objet de préparation. Je dispose personnellement d’un visa américain valide encore pour trois ans dans mon passeport. Je sais que si je voyage maintenant pour réclamer un TPS, je l’aurai absolument. Cependant, je veux me sentir appartenir à une communauté solidaire. Il serait bon que les chefs d’Etat africains fassent de cette demande de Me Wade, si elle est formalisée, une priorité dans leur prochaine rencontre. Une décision positive de l’Union africaine apporte plus de garantie aux Haïtiens intéressés par l’offre qui leur est faite.» < /p>
Concernant l’aide apportée à Haïti, on a souvent parlé de manque de coordination; que l’aide n’arrivait pas aux victimes. Quel commentaire faites-vous de cela ?
« L’Etat haïtien figure parmi ceux dits en faillite. Malgré les efforts du système des Nations Unies pour renforcer les capacités de l’Etat, il y a eu une véritable résistance au changement par les politiques et les privilégiés du système mais aussi par un secteur privé quasi improductif. Cela explique pourquoi qu’au lendemain du séisme qui a dévasté Haïti, en dépit de l’arrivée massive de l’aide, une désarticulation est remarquée. La réponse étatique est lente et si la communauté internationale organise l’aide à sa manière, cela s’assimilerait à une occupation étrangère. Bien entendu ce serait la réaction des nationalistes qui monteront au créneau pour défendre que le pays a été réduit à la mendicité. Il faut déplorer que tout cela se fait pour s’accrocher à des intérêts mesquins, et rien que pour le pouvoir personnel, sans aucune vision de société.»
Que faudrait-il faire alors pour être plus efficace dans la distribution de l’aide ?
« Il faudrait d’abord procéder à une distribution par secteur, c’est-à-dire, diviser la Capitale en plusieurs points et procéder à la distribution au même moment dans tous les centres. Cela réduira les violences et les affluences. Partant du fait que le personnel militaire disponible est énorme, ces centres pourront bénéficier d’un grand appui sécuritaire. Il faudrait aussi recenser les centres pénitentiaires encore restés intacts, les orphelinats, les hôpitaux, les camps de personnes déplacées et blessées, leur donner la priorité dans la distribution, contrairement aux victimes qui errent dans les rues de Port au Prince. Il faudrait mettre en place une seule cellule pour gérer la crise, cette cellule donnera naissance à plusieurs sous-cellules qui se chargeront chacune de tâches bien définies. Les besoins doivent être évalués et définis. Cela permettra d’offrir un support logistique sans faille, de répondre aux demandes les plus diversifiés dans un délai raisonnable. Des spécialistes, dans des domaines les plus divers, sont à l’heure actuelle, volontaires. Mais qui les organise pour une distribution efficiente des ressources? Sans un inventaire de ce qu’on dispose et de ce qu’il faut pour mener cette tâche, c’est une cause perdue d’avance.»
Comment décrivez-vous ce qui s’est passé le 12 janvier à Haïti ?
« Pour résumer, je dirais tout simplement que les hollywoodiens et bollywoodiens ne sont pas encore arrivés à la conception d’un tel niveau d’horreur. Même une compile de tous les films d’horreur déjà tournés et projetés dans le monde se révèle insignifiante par rapport au niveau d’horreur que ce séisme du 12 janvier a provoqué en Haïti, notamment à Port-au-Prince, Léogâne et à Jacmel.»
Avez-vous perdu des proches ?
« Quoique divisés souvent pour des raisons politiques, les Haïtiens demeurent proches les uns des autres. Certaines images de manque de solidarité que l’on pourrait constater chez mes compatriotes en ce moment de crise et de chaos viendraient de ce que l’on appelle l’instinct de survie. Et puis, c’est un peuple qui mange difficilement à sa faim, par conséquent, toute distribution de nourriture se traduit par une occasion à ne pas manquer pour mettre de côté une bonne portion qui pourrait servir encore longtemps. Pour moi tous les Haïtiens ont perdu quelqu’un dans cette catastrophe. J’ai perdu des amis autant que des cousins. Je suis triste, mais la vie doit continuer, mais apparemment ailleurs, pour moi. »
Pensez vous que l’intégration d’Haïtiens au Sénégal ou en Afrique sera facile ?
« Le peuple haïtien, je l’assume, est le peuple le plus diversifié au monde. Nous sommes à l’origine, des africains, des indiens, des français, des américains, des anglais, voire des espagnols. Si nous avons réussi à intégrer les communautés américaines, françaises, canadiennes et autres, il sera d’autant plus facile pour nous d’intégrer les communautés africaines. L’Haïtien répète souvent quand on n’a pas l’idéal, on idéalise ce qu’on a. Et nous accordons une grande importance à la vie, « mieux vaut être laid, mais vivant ».