L’Union Internationale des Télécommunication n’a pas vocation à se substituer aux différentes instances de régulation nationales. Elle réaffirme son rôle de conseiller et estime que la lutte contre la fracture numérique dépend avant tout d’une volonté politique. Interview de Yoshio Utsumi, secrétaire-général.
Une plus forte participation du secteur privé, favoriser les partenariats, réduire la fracture numérique et une plus grande souplesse des Etats membres de l’UIT. Ce sont les priorités de Yoshio Utsumi, qui vient d’être réélu pour un deuxième mandat, secrétaire-général de l’Union Internationale des Télécommunications
Les plénipotentiaires de Marrakech seront-elles le vrai démarrage de la réforme de l’UIT?
Yoshio Utsumi: Auparavant, l’UIT avait des activités purement techniques. Le travail était simple. Il s’agissait de téléphone et télégraphe. Avec les changements dans les télécommunications, nous sommes passés de monopoles d’Etat à une concurrence entre sociétés de services. De ce fait, l’Union a changé de missions, ou plutôt les a élargies à celle de réglementation. L’ensemble des activités économiques et sociales a besoin de réseaux de télécommunications, et l’importance et les missions de l’UIT deviennent plus grandes. Nous parlons maintenant du cybercommerce, cybermédecine et même de cybergouvernement.
Comment trouver l’équilibre avec le secteur privé?
Yoshio Utsumi: L’UIT n’est pas uniquement une institution intergouvernementale. Siègent dans ses instances plus de 700 membres du secteur privé qui interviennent dans des groupes consultatifs sur un même pied d’égalité que les Etats. Le privé a le droit d’approuver les programmes de travail des commissions d’études et d’adopter des normes techniques. Mais pour l’instant, il n’a pas de droit de vote formel et c’est ce qui pose quelques problèmes. Mais dans la pratique, le secteur privé a plus qu’un droit de regard sur les activités au sein de l’Union.
Etes-vous satisfait de cette participation?
Yoshio Utsumi: La question n’est pas notre satisfaction, mais celle du secteur privé. Il se sent aujourd’hui frustré, du fait qu’il n’ait pas sa voix au chapitre dans le processus décisionnel. Les décisions stratégiques se prennent en effet lors des plénipotentiaires ou des conseils dans lesquels le secteur privé n’a pas le droit de participer directement, mais uniquement à titre d’observateur. En réalité, les positions des Etats membres doivent refléter aussi bien les opinions du secteur privé que celles du consommateur. Prenant exemple de la normalisation, toutes les études sont faites par le secteur privé. Celui-ci les discute au sein de l’UIT et les approuve. Ce n’est que lorsque le secteur privé n’arrive pas à un consensus que les décisions sont réservées aux Etats.
Un autre point important, la régulation. Comment voyez-vous ce rôle au sein de l’UIT?
Yoshio Utsumi: Tout d’abord, je tiens à préciser que l’UIT ne sera jamais le régulateur des régulateurs. L’UIT sert de forum ou de base pour échanger les expériences acquises afin de faciliter le fonctionnement du régulateur. Aujourd’hui, il est vrai que les statuts sont assez ambigus: soit le régulateur fait partie de la délégation membre de l’Union et, à ce titre, représente les intérêts du gouvernement. Soit ce n’est pas le cas, et n’ayant pas de statuts définis, sa participation devient limitée. Depuis que le marché des télécoms a amorcé sa libéralisation, le rôle du régulateur est devenu plus important. C’est évidemment le garant d’une concurrence loyale. Mais, le régulateur se sent seul. Il peut obtenir le conseil auprès de l’UIT. Nous avons mis en place une hot-line spéciale pour régulateur. De même, nous organisons un forum annuel réservé uniquement aux agences de régulation. L’autre dimension du rôle du régulateur est l’attribution des fréquences. L’UIT a pour rôle de coordonner à l’échelle mondiale le partage des fréquences.
Lutte contre la fraction numérique, société d’information pour tous… sont-ce uniquement des slogans de campagne?
Yoshio Utsumi: La notion de fracture numérique est un problème vaste qui ne peut être réglé au cas par cas, ni isolément. C’est un problème mondial, et c’est une combinaison de tous les efforts qui mènerait à une solution. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique au plus haut niveau et à l’échelle planétaire, et c’est dans cette perspective que l’UIT organise un sommet mondial de chefs d’Etat sur la société de l’information. Maintenant, ni l’UIT ni son bureau de développement des télécommunications (BDT) ne sont un organisme financier. Ils ne peuvent intervenir dans le financement de projets. Le BDT a pour mission d’aider les pays à développer leurs ressources humaines et créer un environnement favorable à l’investissement. Il a aussi pour mission de favoriser le transfert des technologies. Par exemple avec Sisco, l’UIT a créé 53 académies de formation en technologie IP et autres protocoles Internet.
Badra Berrissoule