La Commission des droits de l’Homme de l’Onu a voté vendredi un texte très frileux à l’égard du gouvernement de Khartoum, pour son soutien, parfois actif, aux milices arabes qui sévissent dans le Darfour. Les témoignages se font pourtant de plus en plus nombreux et précis sur les exécutions de masse, incendies de villages et violences subis par les populations locales.
Le 5 avril dernier, le coordonnateur humanitaire de l’Onu au Soudan, Jan Egeland, avait parlé de « nettoyage ethnique » pour évoquer le sort des populations non arabes du Darfour face aux milices armées par Khartoum. Quelques jours plus tard, Koffi Annan lui-même, devant la Commission des droits de l’Homme (CDH), évoquant le génocide du Rwanda, avait implicitement fait un rapprochement entre la situation dans l’ouest du Soudan et le drame de 1994. Provoquant la circonspection chez certains observateurs internationaux (journalistes, diplomates et autres organisations humanitaires), interdits par le gouvernement de Khartoum dans la plus grande partie de la région. Depuis, les témoignages parvenant du Darfour se multiplient pour confirmer les exécutions de masse.
Dans un récent rapport, l’Onu déclare que « le gouvernement soudanais et les milices arabes Jenjawid, qu’il soutient, sont responsables de violations massives des droits de l’homme » au Darfour. Et que « beaucoup d’entre elles peuvent constituer des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanité ». Pourtant, vendredi, la Commission des droits de l’Homme de l’Onu a adopté un texte très frileux à l’égard du gouvernement de Khartoum. L’organisme, décrédibilisé de longue date, confirme avec cette décision qu’il n’est plus qu’un vaste marché de la respectabilité internationale. La CDH devait à l’origine se prononcer sur un projet de résolution beaucoup plus ferme, déposé par l’Union européenne et vivement soutenu par les Etats-Unis. Mais le texte a été laissé dans les tiroirs, après que des membres africains et européens eurent trouvé un compromis pour adopter une position plus prudente.
Main dans la main
Depuis février 2003, date à laquelle deux groupes rebelles, le Mouvement de libération du Soudan (MLS) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), ont pris les armes contre le régime musulman de Khartoum, près de 1 000 personnes ont été tuées dans la région du Darfour. Selon l’Onu, 750 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, alors que 110 000 autres se sont réfugiées au Tchad. Les deux groupes, composés de ressortissants musulmans, mais non arabes, souhaitent voir le pouvoir central cesser d’armer les milices arabes, appelées « Jenjawid », et montrer un plus grand intérêt pour leur région. Des doléances auxquelles Khartoum, appuyé par les milices, a répondu par une vague de répression.
Les forces gouvernementales, appuyées par les Jenjawids, se livrent «à des attaques répétées pour forcer les civils à fuir», indique le rapport précité de l’Onu. Ils procèdent à «des attaques aériennes et terrestres systématiques contre des civils désarmés», visant «certaines tribus africaines, les Zaghawas, les Massalits et les Fours (…) Ces attaques se traduisent généralement par des assassinats, des viols, des pillages et la destruction de tous les biens, y compris le bétail et les sources d’eau», précise-t-il encore. Après un mois d’enquête, Human Rights Watch a publié, ce 23 avril, un rapport où sont documentées une douzaine d’attaques menées conjointement (à l’exception de deux) entre les milices et les forces gouvernementales. Il est notamment question de l’exécution d’une balle dans la nuque de 136 prisonniers. Le directeur exécutif de l’ONG américaine, Kenneth Roth, explique que « les Janjawids ne sont plus simplement des milices appuyées par le gouvernement soudanais ». Mais qu’elles « travaillent de concert avec les troupes gouvernementales. Et jouissent d’une impunité totale pour les crimes massifs qu’elles commettent ». Le rapport évoque même des postes de police, dans certains villages, où les troupes régulières et les forces janjawid établissent une présence commune.
A toutes ces accusations, le régime de Khartoum répond par la négative. Si le ministre soudanais des Affaires étrangères admet quelques violations des droits de l’Homme dans le Darfour, il nie les nettoyages ethniques et exterminations de masse. Samedi, rebelles et gouvernement ont quitté la table des négociations, à N’Djamena, en se promettant de se réunir ultérieurement pour « discuter des questions politiques, économiques et sociales ». La situation humanitaire demande pourtant plus que cela. «Même si le conflit (au Darfour) s’arrêtait demain, des centaines de milliers de personnes resteraient menacées par la faim et la mort », soulignait vendredi la porte-parole du Programme alimentaire mondial.