L’OMC se moque du Sud


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La conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui se termine ce mercredi à Doha, au Qatar, n’est pas du goût de tout le monde. Plusieurs pays du Sud regrettent déjà que l’OMC accouche d’un Seattle bis. Une occasion encore ratée pour le Sud.

La Conférence de Doha, même si les observateurs remarquent une évolution sur les médicaments génériques, risque de déplaire aux pays du Sud. L’Afrique se dit insatisfaite. Le marché occidental demeure fermé aux produits africains. Olivier Blamangin, membre de l’Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs (Aitec) et d’Attac, revient sur le sommet du Doha. Interview.

Afrik : Que peuvent réellement attendre les Africains du sommet de Doha ?

Olivier Blamangin : La question pourrait en fait être formulée différemment : qui a intérêt à une libéralisation toujours plus grande du commerce mondial ? C’est la philosophie fondatrice de l’Organisation mondiale du Commerce et Doha ne constituera pas, de ce point de vue, une rupture.

Afrik : Les rapports sont donc toujours en défaveur du Sud ?

Olivier Blamangin : De toute évidence, et malgré des divergences sur un certain nombre de dossiers, les pays européens et l’Amérique du Nord, et plus exactement leurs entreprises transnationales, seront les principaux bénéficiaires d’une nouvelle étape de libéralisation. Quelques grands pays du Sud, les « tigres asiatiques », la Chine ou l’Argentine par exemple, qui ont des produits et des services à vendre mais ne réussissent pas à les écouler à cause des barrières commerciales, peuvent également espérer tirer de ces négociations un bénéfice quelconque. Mais ces pays ne représentent pas, loin s’en faut, la totalité des pays du tiers-monde.

Afrik : Qu’en est-il des pays africains ?

Olivier Blamangin : L’immense majorité des pays du Sud, et les nations africaines en particulier, ne souffre pas principalement d’un problème d’accès aux marchés puisqu’elle n’a pas véritablement, en quantité et qualité, de produits et de services à fournir aux marchés. La plupart de ces économies reposent aujourd’hui sur une base de production étroite, elles dépendent d’un nombre limité de matières premières (café, cacao, huile de palme…). Pour ces produits, le problème n’est pas principalement un problème d’accès aux marchés du Nord mais un problème d’effondrement des cours des matières premières. A ce niveau, la libéralisation n’apporte aucune solution, au contraire…

Afrik : Les Africains se plaignent des maigres résultats de Seattle. Pourtant ils veulent tous, y compris la Libye, faire partie de l’OMC. Est-ce important pour un pays de faire partie de cette organisation ?

Olivier Blamangin : Sauf à être exclus de la communauté internationale, les pays du Sud n’ont guère eu le choix quant à leur adhésion à l’OMC. Sans doute espéraient-ils également en 1994 bénéficier réellement de la libéralisation des échanges et de l’accès aux marchés du Nord. Mais la plupart des pays du Sud partage aujourd’hui le même constat : les accords gérés par l’OMC (le GATT, accords multilatéraux sur le commerce des marchandises, etc.) et les accords relatifs à l’OMC elle-même (accord créant l’OMC, accord sur le règlement des différends, etc.) sont déséquilibrés et favorables aux pays industrialisés. Ils conviennent également que ces accords sont appliqués de telle sorte que ce sont les pays industrialisés qui en tirent les avantages les plus grands.

Afrik : Est-ce une fatalité ?

Olivier Blamangin : Nombre de mouvements sociaux ont demandé, avant Seattle, un moratoire sur de nouvelles négociations tant qu’une évaluation du contenu de ces accords antérieurs et de leur application n’avait pas été réalisée. Mais des pressions considérables ont été exercées, en particulier par l’Union européenne et ses Etats membres, sur les pays en développement pour qu’ils acceptent le principe d’un nouveau round.

Afrik : Les entrepreneurs africains se plaignent que les frontières commerciales occidentales soient fermées à leurs produits… ? Doha apportera-t-elle des réponses sur l’ouverture du marché occidental aux produits africains ?

Olivier Blamangin : Les récentes négociations sur l’accès des PMA aux marchés de la Communauté européenne, qui se sont globalement traduites par un échec, témoignent des difficultés pour les pays du Sud à s’attaquer aux puissants intérêts de certaines transnationales. Il est probable que, pour éviter un nouvel échec politique après Seattle, les pays occidentaux feront quelques concessions aux pays du Sud. Mais quel sera le prix et le niveau de ces « concessions » ? En fait, les pays occidentaux veulent obtenir de nouvelles avancées en échange de ce qu’ils avaient, sur le papier et partiellement, concédé aux pays en développement en 1994, à l’issue de l’Uruguay Round. Les pays du Sud sont ainsi priés de payer une deuxième fois ce qui leur a été promis et jamais tenu : l’accès aux marchés du Nord.

Afrik : Les pays africains revendiquent le droit d’utiliser les médicaments génériques pour combattre le sida mais cette revendication se heurte à la logique financière des groupes pharmaceutiques. Un accord est-il possible ?

Olivier Blamangin : Le problème dépasse largement la question de l’épidémie du Sida et concerne d’une façon plus large l’ensemble de la question de l’accès aux médicaments. Cette question a fait l’objet de nombreuses campagnes internationales et l’opinion s’est particulièrement émue lorsque les Etats Unis ont attaqué le Brésil devant l’OMC en lui reprochant de violer la propriété intellectuelle en fabriquant des médicaments génériques contre le Sida ou lorsque 39 compagnies pharmaceutiques ont attaqué en justice l’Afrique du Sud. Chacun a alors pu prendre la mesure des conséquences de la soumission des droits humains aux droits des affaires.

Afrik : L’utilisation des médicaments génériques demeure une forte revendication…

Olivier Blamangin : Paradoxalement, c’est peut-être sur cette question sensible de l’accès aux médicaments que des avancées pourraient être enregistrées par les Etats africains et par les pays du Sud en général. Un accord semble être sur le point d’être conclu. D’après les premières informations disponibles, il permettrait une interprétation large de l’accord Trips sur la propriété intellectuelle en autorisant les Etats membres de l’OMC à prendre des mesures pour protéger la santé publique et assurer l’accès aux médicaments. Ce projet, soutenu notamment par le Brésil, doit encore être approuvé par les pays en développement.

Afrik : Que peut faire l’Afrique pour faire entendre sa voix à l’OMC et autres grandes messes ?

Olivier Blamangin : C’est une question difficile. La première chose à faire serait de ne pas trop attendre de ces négociations internationales. Sans doute peuvent-il également davantage s’appuyer sur les mouvements sociaux qui, de Seattle à Porto Alegre, ont démontré leur implication dans la construction d’un monde moins inégal. Ensuite et surtout, l’alliance avec les autres pays du Sud et particulièrement avec les grands pays émergents est une question stratégique, la clef du rapport de force : chaque fois que les pays du Sud ont su préserver leur unité face aux pays occidentaux, ils sont parvenus à faire plier quelque peu les pays occidentaux sur les sujets les plus sensibles.

Afrik : En général, l’OMC est-elle un handicap ou une chance pour le Sud ?

Olivier Blamangin : Les accords de Marrakech et la création de l’OMC furent présentés comme le moyen d’accroître la richesse, la prospérité et le niveau de vie des populations de tous les Etats membres et des pays du Sud en particulier. Depuis 1994, les inégalités entre le Nord et le Sud n’ont cessé de s’accroître et la part de l’Afrique dans le commerce mondial n’a cessé de régresser. Le continent est aujourd’hui totalement marginalisé. Il est clair que l’OMC n’a pas été une chance pour le Sud.

Afrik : Faut-il repenser l’OMC ?

Olivier Blamangin : Sans doute faut-il arrêter de se voiler la face : une mondialisation basée exclusivement sur l’exacerbation de la concurrence ne peut qu’écraser les plus faibles et les plus vulnérables. Et ne pas oublier que dans tous les pays, la priorité devrait être à la production pour la satisfaction des besoins de sa propre population, pour son marché intérieur. C’est vrai en Europe, comme aux Etats-Unis, en Corée comme en Algérie. Si le degré d’ouverture à l’échange extérieur était un indicateur de développement, la plupart des pays du Sud seraient développés, ce qui n’est pas le cas. Le développement s’inscrit d’abord dans un espace national ou régional, et le primat du marché intérieur sur le marché international est évident.

Afrik : Vous prônez un retour à une forme de protectionnisme ?

Olivier Blamangin : L’enjeu prioritaire, en terme de coopération Nord-Sud, est bien l’élargissement du marché intérieur et la réponse aux besoins des populations. Il faut donc reconnaître aux pays africains le droit de prendre toutes les mesures législatives ou autres qui confirment et renforcent l’expansion des libertés de leurs populations, et pas seulement celles qui renforcent la liberté des échanges. Dans bien des cas, et notamment sur les questions de sécurité alimentaire ou d’accès aux médicaments, de telles mesures seraient contraires aux accords de l’OMC.

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