L’attaque sanglante d’un bus par des bandits armés, dans l’ouest du Burkina, le 12 mars dernier, relance la psychose de l’insécurité dans le pays. Malgré les opérations « coup de poing » menées par le ministre de la Sécurité, les forces de l’ordre restent dépassées par les événements.
Par Bagassi Koura
Comme au cinéma. Dans la nuit du 11 au 12 mars, une bonne trentaine de bandits armés ont pris d’assaut un car qui avait à son bord 70 passagers. C’était sur la route reliant la capitale burkinabé Ouagadougou à Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays. La méthode utilisée est bien connue : la route a été d’abord coupée par un tronc d’arbre. Dès que le véhicule, en provenance de Ouagadougou, a ralenti, des individus, armes de guerre au poing, sont sortis des bois. C’est à ce moment que « les gendarmes qui escortaient le bus, nous ont demandé de nous coucher », raconte un passager. S’en sont suivis des échanges nourris de coups de feu entre les quatre gendarmes et les assaillants nettement mieux armés. Sous le feu, le véhicule, complètement criblé de balles, a alors fait une marche arrière sur 5 km. Le chef des gendarmes a été grièvement blessé (à la mâchoire et au menton) tandis qu’un passager a pris une balle dans l’épaule.
Montée de l’insécurité
Il faut dire que ces dernières années, l’insécurité a atteint des proportions inquiétantes au Burkina. Routes barrées, véhicules braqués et fouillés en règle, bétail volé, villages attaqués… Les cas se sont multipliés aussi bien en villes que sur les axes routiers en campagne où les coupeurs de route font souvent la loi. Les passagers des véhicules arrêtés sont généralement allongés au sol avant d’être dépouillés de leurs biens. Pratiquement pas une semaine ne se passe sans que la presse locale ne rapporte des cas d’attaques à main armée. Il y a quelques mois un véhicule de l’armée à même été immobilisé en pleine brousse par des malfrats. « Les militaires à bord ont subi le même sort que les civils » rapporte le journal L’Indépendant le 22 mars.
De plus en plus, certaines grandes compagnies de transport du pays font appel à la gendarmerie pour sécuriser leurs convois. Ils soumettent leurs passagers à une fouille minutieuse. Et des gendarmes (quatre généralement) en gilet pare-balles et armés de kalachnikov prennent ensuite place à bord. Ces derniers exigent même souvent aux passagers d’éteindre leurs téléphones portables avant le départ du car. Mais l’affrontement du 12 mars dernier démontre que cette méthode a atteint ses limites face à des bandits désormais prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Ils sont de plus en plus organisés en réseaux et opèrent le plus souvent dans les zones frontalières pour une question de tactique. La presse locale qui s’en fait l’écho assez régulièrement, rapporte que la région de l’Est (frontière du Niger, Togo, Bénin) est la zone la plus dangereuse du pays. Là-bas, les bandits n’attendent plus la nuit et opèrent carrément en plein jour. Si bien que ces derniers mois des patrouilles des forces de sécurité ont dû se déployer sur les routes de l’Est.
Banditisme transfrontalier
Mais les agents de la sécurité semblent aujourd’hui à bout de souffle face à ce que Le Journal du Jeudi qualifie de « contexte d’insécurité généralisée » où des bandits de mieux en mieux armés vont, allègrement, d’un pays à l’autre dans une Afrique de l’Ouest aux frontières poreuses. Le trafic d’armes de guerre s’est beaucoup développé dans cette région déstabilisée par plusieurs années de guerre civile (au Libéria, en Sierra Leone et surtout actuellement en Côte d’Ivoire). De fait, les moyens des forces de l’ordre s’avèrent dérisoires face à la grande armada des bandits. En 2004, ceux-ci ont abattu trois policiers secouristes dans la région de Koupéla (environ 200 km à l’est de Ouagadougou) avant de prendre la fuite au Ghana voisin où ils ont été arrêtés quelques semaines plus tard.
Malgré la mobilisation des forces de sécurité l’insécurité persiste. C’est que le banditisme, s’appuyant notamment sur la pauvreté de plus en plus grande des populations, a la peau dure. Beaucoup mettent également en cause la montée du chômage et surtout la réinsertion chaotique de plusieurs centaines de milliers de personnes démunies, rapatriées, ces dernières années, de Côte d’Ivoire. Beaucoup d’entre elles, complètement délaissées, sont condamnées à la survie. Par tous les moyens. Certains soupçonnent par ailleurs les agents de sécurité d’entretenir parfois des liens de complicité avec les bandits dont certains bénéficient de haute protection au sein de l’appareil d’Etat. En octobre dernier, sous la pression d’Interpol, la police burkinabé a été finalement obligée de mettre aux arrêts un puissant homme d’affaires connu depuis plusieurs années dans le recel de véhicules. Il a finalement été libéré au bout de quelques semaines d’emprisonnement.
Méthodes expéditives des forces de l’ordre
Pour éradiquer le phénomène, les forces de l’ordre utilisent, entre autres, les « opérations coup de poing ». Une méthode musclée et expéditive héritée des années d’exception. Les agents de sécurité (militaires, policiers et gendarmes) en patrouilles, repèrent et abattent nuitamment des individus censés être des bandits et dont les corps sont ensuite exposés publiquement pour choquer les populations. Le but, selon les autorités, étant de décourager les bandits. Ces méthodes punitives sont de fait dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme. Mais les responsables de la sécurité ne semblent pas prêts à y renoncer. « La formule des opérations ‘coup de poing’ nous a permis malgré tout ce que certains analystes peuvent en dire, de baisser un moment le taux de la criminalité », se réconforte le ministre de la Sécurité, le Colonel Djibril Bassolet. Une grande majorité des Burkinabé et même une partie de la presse approuvent ces expéditions extra-judiciaires qui se sont cependant faites rares ces derniers mois.
Face à la recrudescence du grand banditisme, au ministère de la Sécurité on ne sait plus à quel saint se vouer. Le ministre Bassolet, beaucoup interpellé dans la presse, a annoncé le recrutement massif d’agents de sécurité et la création prochaine d’une « police de proximité » qui serait plus proche des populations. Mais pour l’instant, les forces de sécurité manquent cruellement de moyens d’action. De nombreux postes de police ou de gendarmerie ne disposent pas de véhicules d’intervention ou d’armes appropriées. Certains n’ont même pas de lignes de téléphone.
En février dernier, pour la première fois, des centaines de policiers sont descendus dans les rues pour réclamer de meilleures conditions de travail, des moyens d’action et le rétablissement des frais de garde qui sont passés depuis des années de 1 000 fcfa (environ 1,6 euros) à 300 fcfa (environ 0,50 euros) par jour. Ils réclamaient aussi que chaque agent puisse disposer d’un pistolet automatique, de menottes, d’aérosol, de sifflet…Les policiers qui revendiquaient aussi des indemnités de risque ont été réprimés par d’autres confrères à coups de gaz lacrymogène. Au moins 500 manifestants qui étaient encore à l’école de police ont été radiés. Le gouvernement a également de limogé le directeur de la police nationale et le patron de la CRS (la Compagnie Républicaine de Sécurité). Les Burkinabé attendent maintenant les résultats de tout ce remue-ménage effectué par le ministère de la Sécurité dont les méthodes n’ont, jusque-là, pas permis de juguler le phénomène du grand banditisme.