Par son passé colonialiste, le Portugal a bien évidemment laissé une empreinte non négligeable sur le continent africain, en particulier en Angola, au Mozambique, au Cap-Vert, et à Sao Tomé-et-Principe. Mais ce que l’on ignore le plus souvent, c’est que l’Afrique a énormément influencé à son tour la culture portugaise, en particulier lisboète… À tel point que des experts tels que Jean-Yves Loude ont pu affirmer que Lisbonne est la plus africaine des villes européennes.
Une présence discrète
Il faut savoir qu’avant même de coloniser l’Amérique, le Portugal avait sur son propre territoire des esclaves venus d’Afrique. Au 16e et au 17e siècle, Lisbonne comptait ainsi jusqu’à 10% de personnes noires au sein de sa population.
Aujourd’hui encore, on compte beaucoup de personnes d’origine africaine à Lisbonne. Seulement, cette présence n’est pas très visible socialement. La représentation politique, notamment, est pour ainsi dire nulle.
Cette présence est aussi difficilement palpable par les touristes, qui ne fréquentent généralement que quelques quartiers tels que le centre historique décrit ici par le site Bonjour Lisbonne. La grande majorité des descendants d’esclaves et de colonisés n’habitent pas les beaux quartiers de Lisbonne. Pour les rencontrer, il faut pousser un peu plus loin vers d’autres quartiers comme São Bento, le Largo Sao Domingos, ou encore Cova da Moura. Ces quartiers, qu’ils soient lieux de vie ou simples lieux de rencontre pour les populations noires, peuvent être perçus comme de véritables enclaves africaines, en particulier capverdiennes, pour le visiteur.
Cova da Moura est sans doute le quartier le plus emblématique de cette présence africaine à Lisbonne. Situé derrière la barrière autoroutière de la ville, il marque une séparation nette entre le Lisbonne européen, et le Lisbonne « africain » qui mériterait d’être davantage connue.
Un changement de mentalité
Ceci étant dit, les populations portugaises d’origine africaine commencent à se faire entendre et à revendiquer directement et politiquement leur héritage. Avec des associations telles que l’Associação Cultural e Juvenil Batoto Yetu Portugal, les descendants des peuples colonisés et des esclaves souhaitent atteindre « les enfants, les jeunes et les adultes portugais intéressés par la culture africaine ». Les fondateurs de cette association en sont persuadés, chacun est digne de reconnaissance et « d’appréciation de ses racines culturelles ».
Ainsi, récemment, l’association a réussi à faire construire un buste à la mémoire de Pai Paulino, grand défenseur des droits des noirs au Portugal au 19e siècle, et enterré au cimetière d’Alto de São João. L’association souhaite également placer une vingtaine de plaques pour retracer l’histoire de la présence africaine à Lisbonne, notamment au Rossio, un quartier légèrement excentré, mais suffisamment proche du centre névralgique de la ville pour toucher un grand nombre de personnes.
La musique et la cuisine : des passerelles entre les cultures
La plupart des commentateurs font la remarque : ce qui rend avant tout palpable la présence africaine à Lisbonne, ce sont les odeurs de nourriture et les musiques qui s’échappent des logements et des lieux de socialisation. Dans les rues de Cova da Moura et du Largo Sao Domingos, mais aussi dans les quartiers plus centraux de la ville, ce qui frappe en premier lieu ce sont les odeurs de curry de crevettes accompagnées de quiabos, de muamba de galinha angolais, et de cachupa capverdienne… Et le visiteur est souvent surpris de constater qu’à Lisbonne, dans les bars comme dans les rues, on chante, on joue et on danse très souvent africain. Cette présence douce, qui est une fierté pour de nombreux Portugais, d’où qu’ils viennent, est sans doute la meilleure passerelle pour une reconnaissance mutuelle et une véritable fraternité entre les Lisboètes.