L’oléoduc Tchad-Cameroun va toucher sur le territoire tchadien 2 124 ha dont 756 seront définitivement occupés. La faiblesse du taux de compensation est le principal problème des populations. Chronique d’une arnaque annoncée.
Esso Tchad a prévu dans son plan de compensation et de réinstallation (PCR), trois types d’indemnisation pour les populations directement concernées : des compensations individuelles, en espèce ou en nature, pour les terrains cultivés, des compensations collectives pour les terroirs communautaires et la réinstallation des foyers déplacés.
Des sommes ont commencé à être versées fin 1998 pour les indemnisations individuelles et en avril 2000 pour les collectives, alors que le projet n’avait pas été encore approuvé officiellement par la Banque mondiale. Une façon habile de couper l’herbe sous le pied des contestataires, et de mettre tout le monde devant un état de fait. Ainsi, les paysans ont assistés, résignés, à une sous-évaluation de leurs terres et ont accepté les billets d’Esso sans broncher.
Un royaume pour un vélo
L’attestation de paiement en espèces de M. Gabriel Ndodjingar est datée du 11 décembre 1998. En compensation de la perte de sa maison et de ses champs, ce paysan tchadien a reçu : 1985 FCFA -moins de 20 FF. En réponse à Ngarlejy Yorongar s’étonnant de la faible indemnisation prévue, la Banque mondiale ne se démonte pas : » La personne citée [le fameux Gabriel] était éligible à une indemnisation totale de 90 985 FCFA. Il/Elle a choisi une indemnisation en nature sous la forme d’une bicyclette. Le prix de cette bicyclette était de 89 000. La différence (90 985-89 000) est égale au montant d’indemnisation en liquide lui étant due : 1 985 FCFA. Il lui a été remis un certificat d’indemnisation en nature pour un montant de 89 000 FCFA (890 FF. Ndlr) au moment de la livraison de sa bicyclette. Ce document témoigne du paiement en nature « .
M. Modeste Mbetetoudji a quant à lui, signé une fiche récapitulative des biens éligibles à la compensation, qui » établit la liste des surfaces et biens affectés, mais qui ne mentionne pas la valeur ni les bases de calcul du montant de la compensation « peut-on lire dans le rapport de la FIDH. Ce paysan a ainsi reçu le 13 janvier 1999 133 000 FCFA. Toujours selon la FIDH, ces 1 300 FF en espèces » lui ont permis d’acheter un boeuf, une chèvre, un sac de mil et quelques vêtements, à quoi s’ajoute une charrue d’une valeur de 704 FF au titre de la compensation en nature. Le tout pour la destruction de 1 600 m2 de cultures vivrières et l’abattage de deux karités dont la valeur cumulée de la production, selon une estimation indépendante, dépasse les 8 000 FF « .
En véhiculant des informations volontairement partielles, voire en utilisant la désinformation sur des populations illettrées et ignorantes de leurs droits, Esso Tchad, peut ensuite faire valoir la procédure de réclamation mise en place, et mettre en lumière ses gages de bonne volonté. Ainsi les 26 familles déplacées, en tout 185 personnes, qui ont été relogées à l’emplacement de leur choix.
En 1998, les ONG sont montées au créneau pour dénoncer la faiblesse des indemnisations prévues. Le cas du manguier est exemplaire : Esso proposait 35 FF pour l’abattage d’un manguier. Aujourd’hui, et après étude, la valeur compensatoire à été relevée à 5 500 FF avec en plus, la fourniture de jeunes pousses et de quoi les entretenir. Tout ceci en dit long sur les intentions premières de la compagnie pétrolière.
Pistolet sur la tempe
Autre scandale : l’Etat tchadien étant le seul propriétaire légal des terres, il n’existe pas de titres fonciers concernant les zones touchées par les travaux. Les terrains sont alors indemnisés sur la base de la valeur d’une année de récolte, ce qui est bien sûr totalement injuste. Le rapport de la FIDH fait également mention de la présence des militaires lors du calcul des surfaces et de la terreur des populations qui n’ont pas eu leur mot à dire, une fois de plus.
La directive opérationnelle 4.30 de la Banque mondiale, selon laquelle les populations touchées ne doivent pas subir de perte de revenus, semble être en bien mauvaise posture. En effet, la FIDH rapporte les cas de rackets dont ont été victimes dans leurs villages les paysans indemnisés, ou encore la dilapidation de l’argent par certains due à l’absence de sensibilisation et d’explications sur la gestion de telles sommes.
Quant aux populations Pygmées du Cameroun – près de 11 000 personnes -, le plan » pour les peuples autochtones vulnérables « (PPA) est loin d’être à la hauteur du problème. Avec un peu moins de 4 dollars par an et par personne, il faudra financer des actions de développement dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’agriculture.