L’incroyable saga d’El Mordjene, de la pâte à tartiner au symbole géopolitique


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El Mordjene
El Mordjene

L’affaire El Mordjene, qui a commencé comme un simple engouement pour une pâte à tartiner algérienne, s’est transformée en un phénomène social complexe. D’abord avec un enjeu commercial inattendu, pour devenir finalement un symbole géopolitique chargé de sens. Cette saga, aussi surprenante qu’elle puisse paraître, révèle comment un produit alimentaire peut cristalliser des tensions historiques et devenir le centre d’un débat qui dépasse largement le cadre des tendances culinaires.

Le journal La Provence raconte que vendredi 13 septembre au soir, dans le 11e arrondissement de Marseille, un employé d’un commerce a été victime d’une agression après avoir été attiré dans un piège alors qu’il tentait de se réapprovisionner en pots de pâte à tartiner El Mordjene. Ce produit, originaire d’Algérie et devenu un véritable phénomène en quelques mois, est aujourd’hui interdit en Europe en raison de réglementations strictes, mais historiques, sur les produits laitiers. L’histoire, aussi surprenante qu’elle puisse paraître, révèle un engouement qui dépasse le cadre habituel des tendances alimentaires.

De la niche à la folie collective

En l’espace de deux mois, El Mordjene est passée du statut de produit confidentiel à celui de star des réseaux sociaux. Popularisée par TikTok, cette pâte à tartiner algérienne, souvent surnommée le « Nutella algérien », a vu sa demande exploser dans les épiceries françaises. Dans les quartiers de banlieue, où des clients nostalgiques de leur enfance algérienne se réjouissaient de retrouver ce goût familier, le produit est devenu viral, mais c’est la même chose dans les quartiers branchés où les familles la découvre. Des influenceurs l’ont propulsé sur le devant de la scène, poussant les amateurs à se précipiter pour mettre la main sur les rares pots disponibles en France.

@benoit_chevalierJe goute la pâte à tartiner El Mordjene ❤️♬ son original – Benoît Chevalier

Petit à petit, ce phénomène a même enflammé la presse algérienne, qui voit dans ce succès une reconnaissance du savoir faire algérien et é l’espoir d’une expansion des exportations agroalimentaires vers l’Europe. Certains allaient jusqu’à prédire que cette pâte à tartiner pourrait rivaliser avec les géants européens et le plus connu d’entre eux, Nutella. On pouvait même lire dans certains médias une symbolique revanche commerciale sur les anciennes puissances coloniales.

Interdiction ou simple méprise ?

Mais la belle histoire a pris une tournure inattendue. Alors que les réseaux sociaux continuaient à s’enflammer, une information a soudainement circulé : El Mordjene aurait été interdite en France. Cette nouvelle, amplifiée par les influenceurs de tous bords a alimenté une vague d’indignation en Algérie, où le contexte géopolitique est marqué par des tensions renouvelées avec la France depuis la prise de position controversée d’Emmanuel Macron sur le Sahara occidental.

En réalité, cette interdiction n’a jamais eu lieu. La vérité est plus simple : El Mordjene, qui contient des produits laitiers, n’a tout simplement pas les autorisations nécessaires pour être vendue en Europe, comme tous les produits laitiers venant du continent africains qui ont des normes sanitaires différentes. Comme d’autres produits similaires, elle est soumise à des règles strictes sur les importations de produits laitiers. Les quelques pots qui ont circulé en France proviennent de circuits parallèles d’importation, notamment dans les épiceries algériennes, et cela depuis longtemps. Il n’est donc pas question d’une nouvelle interdiction, mais juste du rappel des textes en vigueur, qui ne permettent pas un déploiement commercial à grande ampleur de la pâte à tartiner.

Le piège du quartier de la Valbarelle

Mais l’engouement autour d’El Mordjene était tel qu’il a pris une tournure plus sombre à Marseille. Dans un contexte de pénurie de plus en plus pressante, des commerçants se sont mis en quête de réapprovisionnement. Vendredi soir, l’un d’eux a répondu à une annonce alléchante proposant un important stock de la fameuse pâte à tartiner. Il a envoyé un de ses employés à l’adresse indiquée, dans le quartier de la Valbarelle, avec une somme en liquide pour finaliser l’achat.

Malheureusement, l’employé de 27 ans est tombé dans un traquenard. Après avoir été invité à monter dans un immeuble, il s’est retrouvé face à des hommes armés qui l’ont dépouillé de tout ce qu’il portait.

L’incroyable saga d’El Mordjene illustre parfaitement comment un simple produit de consommation peut devenir le catalyseur de tensions sociales, économiques et géopolitiques latentes. Entre effet d’aubaine commercial et symbole de résistance culturelle, El Mordjene a révélé la complexité des relations post-coloniales entre la France et l’Algérie et les défis de la mondialisation. Cette affaire nous rappelle que dans notre monde interconnecté, même la plus simple des pâtes à tartiner peut devenir le vecteur de revendications politiques et identitaires profondes.

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